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histoire universelle

fortifier les assises de la paix à laquelle leurs sujets tenaient tant — à laquelle on peut dire que désormais ils tenaient trop.

Cette paix, il eut fallu du moins la gonfler de prospérité d’autant qu’elle engendrait un de ces énormes accroissements de population si caractéristiques de la race chinoise laquelle peut en temps normal doubler en quarante ou cinquante ans. Or un phénomène nouveau se produisit : la misère. La Chine si aisément riche mais désormais séparée du monde par une barrière obstinée connut une pauvreté durable dans laquelle elle s’enlisa. Le commerce végéta ; les salaires baissèrent ; les ponts croulèrent ; les canaux se comblèrent. L’émigration qui avait débuté petitement lors de la chute des Ming s’accentua, enlevant les plus hardis, les plus travailleurs pour les disséminer dans les îles et plus tard sur tous les rivages du Pacifique. Ceux qui restaient furent victimes des sociétés secrètes. Vieille tradition. L’époque des Han n’avait-elle pas connu la jacquerie des « sourcils rouges » puis celle des « bonnets jaunes ». De nos jours ce furent la « triade » (1794-1804), peu après les « pirates » puis, au milieu du xixe siècle les « Taï-pings » enfin au début du xxe les « boxers ». Généralement formées pour se défendre contre des vexations fiscales mais composées par moitié d’affamés et d’illuminés dans un pareil état de surexcitation, ces terribles associations couvrirent la Chine de ruines et de sang.

Quant à l’Europe à laquelle le seul port de Canton restait ouvert — entr’ouvert plutôt, — elle tenta à plusieurs reprises de défoncer la muraille obstinée. En 1842, par un scandale sans excuse, l’Angleterre selon le mot d’un écrivain japonais « introduisit l’opium par la bouche du canon et extorqua Hong Kong ». En 1860 une expédition franco-anglaise se termina par la prise de Pékin et le pillage du « Palais d’été ». Ce n’étaient sans doute pas de bons moyens de se faire admettre et apprécier mais il faut reconnaître que, de son côté, la xénophobie chinoise se traduisait de façon toujours agaçante, souvent fourbe et parfois sanguinaire.

Ces entreprises européennes n’eurent pas cependant en Chine de très profondes répercussions. Tout autre fut l’effet produit par la guerre sino-japonaise de 1894-95. Ce conflit si souvent prédit, si longtemps retardé mettait aux prises non point seulement les deux plus grandes puissances de l’Asie mais deux formules différentes sinon opposées de l’asiatisme. À le voir se dérouler, l’Europe devenue soudainement attentive comprit que c’était un peu des destins du monde qui se jouait dans ces batailles-là. Aussi sa diplomatie intervint-elle pour en atténuer du moins les