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les phéniciens

envisager le bien public sous l’angle d’une opération arithmétique. Les guerres, conduites d’ailleurs avec des troupes mercenaires, devaient rapporter matériellement ; sinon on les interrompait sans souci de gloire compromise ou d’honneur engagé. Et parce que cette politique faisait en somme les affaires de tous, elle ne semble guère avoir été combattue. L’histoire de Carthage ne compte pas plus de tentatives d’usurpations monarchiques que de révolutions populaires, c’est-à-dire fort peu. Les institutions n’y jouèrent qu’un rôle effacé. Ni les « suffètes » (au nombre de deux comme les consuls romains) ni le sénat ni l’assemblée du peuple n’apparaissent revêtus d’une autorité certaine ou marqués par des traits saillants. Nous ignorons d’ailleurs comment le droit de cité était accordé. Il semble qu’il n’ait pas existé de noblesse héréditaire mais, en fait, la situation des principales familles se maintenait par la fortune acquise et par le cumul des charges qui n’était point interdit. La politique intérieure s’alimenta principalement par les rivalités des familles dirigeantes et les élections se firent probablement à coups d’argent. Cette politique était elle-même en étroite dépendance des conditions extérieures et celles-ci se résumaient en une double obligation fort simple : défendre les débouchés assurés et s’en ouvrir de nouveaux.

Les adversaires que Carthage rencontra dans la Méditerranée occidentale furent les Étrusques, les Marseillais, les Hellènes et les Romains. Aux Étrusques, elle enleva d’abord la Sardaigne dont les cultures et les mines lui étaient précieuses. Après quoi, réconciliée avec eux et aidée par eux, elle disputa la Corse aux Marseillais (535). Les Étrusques cessèrent assez vite de l’inquiéter. Marseille, bien que fondée depuis soixante-dix ans à peine, ne se laissa pas évincer. Des heurts fréquents se terminèrent souvent à son profit. De bonne heure Carthage avait convoité la Sicile pleine de ressources et si proche d’elle. Ainsi que nous le verrons plus tard, les Hellènes l’y avaient devancée ; de plus, leurs fondations n’étaient pas de simples comptoirs de commerce mais des cités complètement organisées et auxquelles le patriotisme municipal apportait une grande force. Après une série de luttes, les Carthaginois crurent entendre sonner l’heure d’une offensive opportune. La Perse de Darius se jetait sur le monde grec et il ne semblait pas qu’en cette circonstance la victoire put hésiter. Entre Carthage et les Perses, il y eut certainement entente tout au moins verbale. La bataille d’Himère (480) ruina les espérances des uns en même temps que celle de Salamine annulait l’effort des