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sont souvent arrêtés, surpris devant le peu de résistance de la « vertu romaine » aux influences corruptrices des richesses affluant à Rome après sa victoire mais ils n’ont pas tenu assez compte de ce qu’il y avait d’affecté et d’ostentatoire chez les anciens Romains dans cet « amour de la pauvreté » devant lequel Bossuet s’extasiait. Rome s’honore certes de grands caractères dont l’intègre austérité fut sans taches. N’empêche que, de très bonne heure, on discerne chez ses dirigeants la cupidité rusée et insatiable du paysan convoitant la terre et l’on sait ce que cette passion là est susceptible d’engendrer d’hypocrisie. Les scandales agraires et la façon dont ils se répétèrent nous renseignent d’ailleurs clairement. Nous avons vu Cassius payer de sa vie sa courageuse tentative pour y porter remède et, un siècle plus tard, Licinius réussir dans la sienne. Mais l’accaparement des terres par les riches ne tarda pas à recommencer et, de nouveau, les grands domaines éliminèrent la petite propriété et le travail servile couvrit les campagnes.

L’esclavage était un chancre ancien. Dès les premiers temps de la république, il y avait eu des soulèvements de la part des esclaves exaspérés par les mauvais traitements. Maintenant ils pullulaient. On avait un esclave à partir de deux cent cinquante francs. L’offre croissait encore plus vite que la demande du fait des prisonniers de guerre vendus après chaque campagne. Ainsi la seule guerre de Macédoine se termina par la vente après capture de cent cinquante mille hommes libres. Des spéculateurs accompagnaient les armées pour présider à ce honteux trafic. Il faut ajouter à cette source d’approvisionnement les rafles faites sur les côtes de la Méditerranée orientale par les pirates, ceux de Cilicie notamment qui fournissaient le grand marché d’esclaves de Délos. Strabon dit qu’on y vendait jusqu’à dix mille esclaves en un seul jour. Le marché de Rome devint plus important encore. Les endettés vendus au profit de leurs créanciers ou devenus la propriété de ceux-ci et les enfants d’esclaves (un véritable élevage tendait à s’organiser chez les riches qui en possédaient en grand nombre) contribuaient à l’accroissement de la population servile. Le sort de tous ces malheureux allait en empirant. On était bien loin de la douceur athénienne ; l’esclave rural souffrait le plus souvent les pires traitements. C’était une chose sans individualité dont le maître disposait selon ses besoins avec la plus parfaite inconscience. Les exceptions qu’on cite complaisamment n’apportent qu’une bien légère compensation à l’iniquité