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la revanche celto-romaine : les capétiens

Lorsque Philippe-Auguste mourut en 1223, il régnait depuis quarante-trois ans. Ce quart de siècle avait été décisif pour la dynastie capétienne alors aux deux tiers de son cycle. Et certes quand on additionne tous les progrès accomplis, les villes assainies, le commerce facilité, l’université de Paris établie et prospère, l’art renaissant, les libertés municipales étendues et consolidées, l’administration générale commençant à s’organiser, les finances en voie de réglementation, on n’est point tenté de tenir rigueur à ce souverain d’esprit si moderne pour les traits de brutalité et de fourberie qui entachent sa mémoire[1]. Mais ce par quoi son règne apparaît le plus fécond en conséquences profondes, c’est par l’encouragement donné à la formation du « tiers-état », c’est-à-dire d’une classe laïque non rattachée à l’aristocratie de naissance ou à l’aristocratie territoriale mais directement sortie du peuple et apte par ses ressources et par ses connaissances à participer utilement au gouvernement. Une telle classe ne se crée pas de façon artificielle par la seule volonté des dirigeants. Le premier instrument de son élévation, c’est son propre mérite. À l’époque capétienne, comme nous venons de l’indiquer, la race française surtout dans les rangs inférieurs renfermait des éléments créateurs et rénovateurs de premier ordre. Parmi les influences qui s’étaient exercées sur elle, il convient de citer la chevalerie. Au début la chevalerie n’avait été qu’une noblesse d’ordre militaire conférée au jeune homme qui en était jugé digne au moyen d’une remise solennelle de ses armes. On l’« armait chevalier ». Sous cette forme l’institution était d’origine germanique. Par la suite l’Église avait eu l’heureuse idée d’en modifier le caractère en la moralisant. Pratiquement tout possesseur de fief féodal était chevalier mais tout chevalier n’était pas possesseur de fief ; ainsi était née une catégorie de chevaliers errants, d’allures et de mœurs suspectes, toujours en quête de batailles et d’aventures. À ces inquiétants personnages, la religion avait trouvé une mission. Elle avait fait d’eux des défenseurs « du faible et de l’opprimé » les liant par des serments, leur imposant le culte de l’honneur et de la loyauté, transformant la remise des

  1. Par exemple sa conduite vis-à-vis de sa seconde femme, la princesse Ingeburg de Danemark qu’il traita, vingt ans durant, avec une incohérente impudence.