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celier répondit que le bien du royaume étant celui du roi, en travaillant pour lui on travaillait pour le peuple, les murmures par lesquels fut accueillie dans l’assemblée cette déclaration ne soulevèrent point d’écho dans le pays. Le pays n’écoutait pas. Or le sophisme qui venait d’être énoncé allait, pendant quatre siècles et demi, dominer l’Europe, égarer les peuples, légitimer les entreprises de despotismes successifs dont la forme pourrait grandement varier mais dont le dogme fondamental demeurait le même ; à savoir qu’entre dynasties et nations s’établit obligatoirement une identité ou tout au moins un parallélisme d’intérêts.

vii

Car il y avait désormais en Europe des nations conscientes de leur propre existence et prêtes à s’opposer, à s’unir, à s’équilibrer : état de choses que l’histoire n’avait pas eu à enregistrer jusqu’alors. Plus tard, au xixme siècle, il s’étendrait à une large portion et — plus tard encore — à la presque totalité de la planète. Présentement il n’affectait que l’Europe occidentale et centrale. Or cette situation dérivait moins dans chaque État de la concentration du pouvoir dans les mains du souverain et de l’amélioration des procédés administratifs que de la généralisation de certaines notions — trois surtout qui aujourd’hui ont pénétré la vie collective au point de nous faire oublier qu’il n’en fût pas toujours ainsi : la notion d’évolution perpétuelle, la notion de libre profit et la notion de contrat.

L’absence de la première avait constitué une sorte de barrage sur la route de l’esprit humain. On avait vu Thomas d’Aquin s’employer à discuter et à résoudre toutes les questions de théologie, de morale, de philosophie et de physique. Alors on avait jugé que « le dernier mot de la sagesse était écrit ». Le moine Albert le grand[1] n’avait-il pas déclaré que « la science est fixée jusqu’à la consommation des temps » ? Pénétré de pareilles doctrines, l’enseignement universitaire avait naturellement déchu. L’université de Paris compromise par ses complaisances anglaises et sa complicité dans le procès de Jeanne d’Arc n’exerçait plus son ancienne primauté mais beaucoup d’autres s’étaient fondées en Europe, de façon souvent prématurée il est vrai et pour la

  1. Dominicain (1193-1280) né en Souabe. Il étudia à Padoue, enseigna à Paris mais résida surtout à Cologne. Il avait compulsé les travaux des Arabes, ceux des rabbins, analysé Aristote et constitué une encyclopédie écrasante mais sans vie.