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histoire universelle

Il eût fallu d’un geste hardi abandonner Versailles mais pour aller où ?… Le roi s’en retirant, Paris seul le pouvait accueillir[1] mais Paris servait d’officine aux faiseurs de système qu’inspirait l’esprit d’un siècle raisonneur, naïvement scientifique et prompt à se griser de mots. C’était la capitale universelle de la théorie. Quiconque en Europe tenait à se faire entendre parlait en se tournant vers elle comme le muezzin orienté vers la Mecque. Même Voltaire et Rousseau, sans le vouloir paraître, s’adressaient à elle de loin. Le bruit de tant de discours commentés et discutés par la presse et les salons y entretenait une agitation peu propice à une entreprise de réorganisation administrative générale.

Or c’est là ce que les circonstances imposaient et ce que la France souhaitait avant tout. Ni les « cahiers » présentés aux États-généraux par les communes et les corporations (il y en eut, dit-on, près de cinquante mille) ni la plupart des brochures publiées à la même époque ne renferment en effet de conceptions audacieuses, d’injonctions virulentes dans le sens d’une transformation du régime politique. Il ne s’agit que d’obtenir la liberté civile des individus, le vote de l’impôt par les délégués de la nation, la multiplication des écoles, une justice plus égale, la suppression des entraves au commerce… Ces documents reflètent une unité d’aspirations qui s’étend du nord au midi et même d’un ordre à l’autre car, sur beaucoup de points, la noblesse de province est d’accord avec le tiers et le bas-clergé. Il s’en dégage également une impression de sagesse, de bon sens, de modération réfléchie. On a le sentiment des difficultés. Personne ne veut rien hâter ni brusquer.

C’est pour cela que les récentes déceptions n’avaient pas laissé de traces profondes. Quand Louis XVI, peu après son avènement, avait appelé aux affaires l’honnête et courageux Turgot, celui-ci s’était mis sans retard à la besogne. Autour de lui s’était aussitôt dressée la cabale de ceux dont ses réformes

  1. Le Paris d’alors comptait dans les six cent mille habitants (chiffre qui avait été dépassé au début du xviiie siècle mais qui diminua ensuite jusqu’à 547.000 au début du xixe). Outre les monuments à grand effet tels que les colonnades du Louvre et de la place de la Concorde, l’école militaire, la porte St-Denis, Notre-Dame, etc. on y admirait les galeries du Palais royal récemment élevées. Il n’y avait point de quais le long de la Seine et la plupart des rues étaient étroites et tortueuses. Les « cafés » et les « restaurants » étaient encore une nouveauté. Le faubourg St-Antoine très vaste contenait de nombreux couvents et de non moins nombreuses maisons de plaisir, des « folies » comme on les appelait.