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grandes expositions de Philadelphie, de Chicago et de St-Louis associèrent toutes les nations à la célébration des principaux anniversaires américains. La richesse publique et privée dessina une courbe ascendante qu’on n’eût pas cru possible. Cette montée s’accompagna d’un effort immense en faveur du progrès intellectuel. Bibliothèques, universités, fondations de tout genre se multiplièrent. Les nouveaux enrichis apportaient à les doter une inlassable générosité, témoignant en outre d’un sentiment solidariste qui sembla un moment devoir suffire à l’apaisement des haines sociales.

Une puissance pourvue de pareils moyens d’action pouvait-elle continuer à suivre une politique d’isolement par rapport au reste de l’univers ? Washington, à cet égard, avait par ses instructions testamentaires rendu ses concitoyens méfiants. La majorité de ceux-ci persistaient à penser qu’envers l’étranger une complète indifférence gouvernementale resterait compatible avec l’extension indéfinie des relations d’affaires. Mais d’une part la famille anglo-saxonne ne se bornait plus à l’aïeule au joug de laquelle on s’était soustrait jadis ; il y avait les autres communautés, l’Australie surtout, avec lesquelles il était naturel que l’on cultivât les liens de parenté. D’autre part, depuis le fameux message rédigé en 1823 par le président Monroe[1] les États-Unis se sentaient investis de la mission sacrée de veiller sur l’indépendance des autres républiques américaines. Par ce double canal s’introduisit l’obligation d’une politique extérieure ; et lorsque la guerre de 1898 eut arraché Cuba à l’Espagne et parachevé de la sorte l’émancipation de ses anciennes colonies, il devint malaisé au vainqueur de repousser les conséquences de sa victoire et de se tenir en dehors des litiges mondiaux. Le citoyen l’eût-il voulu du reste que son journal l’en eût empêché. Dès 1870 sur trente huit millions d’habitants la presse américaine comptait près de vingt et un millions d’abonnés auxquels elle distribuait un milliard et demi d’exemplaires : chiffres extraordinaires… et combien dépassés depuis ! C’était là un phénomène inédit. Disposant de ressources presque illimitées, surexcitée par une concurrence jamais assouvie, cette presse traita la planète comme son domaine ne voulant pas que

  1. Le président des États-Unis y proclamait que le sol américain ne devait plus « être considéré comme susceptible de colonisation par aucune puissance européenne ». Ce célèbre document daté de décembre 1823 prit par la suite une valeur rétrospective énorme. On y vit une « doctrine », presque un dogme.