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sentaient les égaux en bravoure et souvent les supérieurs en savoir. L’âpreté des querelles soulevées autour de la personnalité incolore du capitaine Dreyfus s’aviva des rancunes amassées entre les uns et les autres. Mais l’énorme agitation provoquée en France et en Europe par la discussion juridique de l’affaire et par les excès de langage d’une presse passionnée s’éteignit très vite et — quoiqu’on en ait dit — sans laisser de traces. Ce fut l’erreur du premier ministre Waldeck-Rousseau et de son successeur Émile Combes (1899-1905) de croire à un ébranlement national profond et à la nécessité d’une politique de « défense laïque ». Waldeck-Rousseau était un dilettante inféodé à des milieux intellectuels alors sans contact avec les masses populaires — Combes, un théoricien de tendances volontiers sectaires. Tous deux s’obstinèrent à déchaîner stérilement les violences anticléricales[1]. Il en résulta la séparation des Églises et de l’État, réforme dont on s’est fort exagéré la portée — et la rupture des relations avec le Vatican. Cette rupture constituait la faute la plus grave que l’on pût commettre ; dès lors que le concordat se trouvait aboli, il fallait au contraire redoubler de vigilance pour écarter de la papauté les influences francophobes. Ces événements toutefois ne provoquèrent point au delà des frontières la répercussion à laquelle s’étaient attendus les cléricaux français. À maintes reprises les rapports entre le Saint-siège et les nations catholiques avaient été troublés ou suspendus. Ni les adversaires de la France, satisfaits — ni ses amis contrariés de sa bévue, ne considérèrent qu’il dût y avoir là autre chose qu’une querelle passagère.

Les alarmes de Guillaume II, avons-nous dit, provenaient d’une autre source. Si la défaillance de Casimir-Perier démissionnant sans raison au bout de six mois (1895) et la mort presque subite de son successeur Félix Faure (1899) avaient quelque peu ébranlé l’autorité politique de la présidence, celle-ci n’avait point été atteinte dans son prestige extérieur. De plus en plus le chef de l’État français se voyait assimilé aux plus puissants souverains ; et voilà ce dont s’inquiétait Guillaume. Félix Faure avait tendance à exagérer cette assimilation

  1. En 1880 Jules Ferry avait dirigé une première offensive contre le cléricalisme, offensive quelque peu justifiée par l’éducation nettement antirépublicaine qui se donnait alors dans les établissements religieux. Mais il ne s’y était pas attardé. En 1900 les circonstances étaient autres. Le prétendu « péril clérical » n’exigeait aucune initiative de ce genre. D’autre part en émancipant l’Église des liens établis par le concordat de Bonaparte, l’État sacrifiait ses propres armes.