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guillaume ii et la république française

Aux approches du xxme siècle pour l’ouverture duquel elle avait convié tous les peuples à une cinquième Exposition universelle[1] qui devait éclipser les précédentes (ce qui ne fut pas le cas) la France déconcertait un peu ses voisins et ses amis. Non que l’on doutât de sa puissance ou de sa richesse. En 1892 tandis que le drapeau tricolore flottait sur Abomey et sur Tombouctou, le 3 % avait atteint le pair. L’année 1893 avait vu une nouvelle déconfiture de l’opposition monarchiste qui, après l’équipée un tantinet ridicule du général Boulanger, avait dressé contre la république la conspiration bien autrement redoutable dite du Panama[2]. Le pays ne s’y était pas laissé prendre. Il semblait donc que le régime républicain fût maintenant à l’abri de tout péril. Mais, d’une part, l’institution de la présidence dont Carnot avait fixé la juste formule et que sa fin tragique aurait dû cimenter passait par des péripéties inattendues et, d’autre part, l’affaire Dreyfus et l’alerte de Fachoda ne risquaient-elles pas de compromettre à la fois l’organisation militaire et la situation diplomatique de la France ? Occuper Fachoda était à ce moment une grande maladresse. L’Angleterre sur le point de réaliser, après maintes indications préalables, son Cape to Cairo plan était justifiée à voir là un mauvais procédé. Quant à l’affaire Dreyfus, son véritable caractère ne pouvait être saisi sur le moment ni par les étrangers ni même par la majorité des Français. L’anticléricalisme et l’antisémitisme en effet, n’y constituèrent que des façades derrière lesquelles, déclanché par un événement occasionnel, se joua le drame véritable, à savoir le conflit entre l’ancienne et la nouvelle armée. Il est tout à l’honneur du patriotisme français qu’un tel conflit n’ait éclaté qu’au bout d’un quart de siècle car il était fatal ; et parmi les chefs plus d’un le prévoyaient et le redoutaient. Dans les cadres étroitement traditionalistes de l’armée de métier le service obligatoire avait poussé la nation entière. Peu à peu s’était ainsi formée une classe d’officiers inaptes à partager les préjugés de leurs camarades dont ils se

  1. La première avait eu lieu sous l’empire en 1855 aux Champs Élysées et la seconde en 1867 au Champ de Mars. La république en organisa trois en 1878, 1889 et 1900 ; le palais du Trocadéro fut édifié pour celle de 1878 et la tour Eiffel pour celle de 1889.
  2. Le scandale financier qui y servit de prétexte avait pour point de départ des tentatives de corruption des parlementaires par la compagnie de Panama en vue de se créer à la chambre une majorité favorable. La calomnie se dépensa à droite pour jeter à cette occasion le discrédit sur tout le parti républicain ; elle n’y parvint pas.