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pice ; mais de son rapide passage sur le trône, la minorité libérale a conclu qu’il pouvait y avoir des empereurs libéraux et cette assurance l’a satisfaite. Quant à Guillaume ii, il a merveilleusement saisi les sentiments de la majorité de ses sujets et jusqu’ici il y a conformé sa conduite. Il s’applique à les guider, à les pousser dans la voie de la civilisation moderne : le moindre progrès matériel l’intéresse ; chaque point qui s’éclaire sur l’horizon humain, fixe aussitôt son regard et, d’autre part, autour de lui, tout marque la puissance, il s’environne d’un appareil guerrier et met l’épée à la main pour parler de la Paix. Cette épée est celle de l’Empire : elle constitue le symbole et la sauvegarde longtemps désirés par le peuple allemand ; aussi la contemple-t-il avec ferveur, n’étant pas encore blasé sur la satisfaction de la posséder.

On ne voit pas, au premier abord, en quoi pourrait nuire aux propriétaires d’un vaste domaine, fortement constitué et gouverné, l’accroissement de biens provenant d’un héritage que nul n’aurait le droit de leur disputer ou de recueillir à leur place. Le Tyrol et la Styrie du Nord, Salzbourg, la Haute et la Basse-Autriche sont des provinces purement allemandes ; le lien qui les retenait à la monarchie des Habsbourg venant à se rompre, il est inévitable que celle des Hohenzollern agisse sur elles comme un centre d’attraction. Or, cet événement si simple et si aisé à prévoir aurait pour conséquence presque immédiate d’entraver le fonctionnement des rouages politiques dans l’Allemagne actuelle.

Établie en 1867 et simplement retouchée en 1870, la Constitution allemande est, en grande partie, l’œuvre de Bismarck. Elle comporte trois rouages principaux, le Reichstag, le Bundesrath et ce pouvoir exécutif qui s’appela d’abord le Bundespraesidium et devint ensuite l’Empire. Le Reichstag se compose d’une Chambre unique, nombreuse, élue au suffrage universel direct et secret, très différente, par conséquent, de la Chambre prussienne, qui est issue, elle, d’un suffrage censitaire à deux degrés. La compétence impériale du Reichstag est limitée, mais elle peut être étendue au moyen d’une révision constitutionnelle pour laquelle il suffit de l’accord de deux majorités simples au Reichstag et au Bundesrath. Ce dernier corps est un conseil fédéral dans lequel siègent les délégués des quatre royaumes allemands (Prusse, Bavière, Saxe, Wurtemberg), des trois villes libres (Hambourg, Brême, Lubeck) et des 18 grands-duchés, duchés et principautés admis dans la Confédération de 1867. Le Bundesrath a des pouvoirs considérables : son assentiment est nécessaire pour signer les traités et déclarer la guerre ; d’importants fonctionnaires lui doivent leurs postes ; il prépare les lois soumises au Reichstag et les examine de nouveau quand elles en reviennent avant que l’Empereur puisse les promulguer. Il a des attributions judiciaires de Cour suprême ; il sert d’arbitre légal entre les États ; il fait des instructions administratives et exerce même, en certains cas, un pouvoir exécutif. Mais le plus étonnant de ses privilèges, c’est peut-être que ses membres aient le droit de siéger au Reichstag et de prendre part aux débats.