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la tunisie et l’égypte.

qui l’avait inspiré n’était vulnérable que sur un point : on pouvait prétendre, avec quelque apparence de raison, que la conquête de la Tunisie nous mettrait l’Europe à dos. L’opposition ne manqua pas de livrer bataille sur ce terrain, et, pour la première fois, on entendit, à la tribune française, se formuler cette antinomie entre la politique coloniale et la politique continentale, qui devait, dans l’avenir, causer tant de déboires à nos colons, en nous amenant à sacrifier les intérêts de quelque portion de notre empire d’outre-mer au désir d’obliger un ami ou à la crainte de mécontenter un indifférent.

Les attaques de l’opposition trouvèrent dans l’opinion un écho inattendu. La presse de droite et celle d’extrême gauche s’ingénièrent pour découvrir à l’expédition des « dessous ténébreux ». On parla de tripotages et d’affaires véreuses, et tandis que l’Allemagne, l’Autriche et l’Espagne adressaient au gouvernement français des félicitations, le général Farre et M. Barthélemy Saint-Hilaire se voyaient bafoués et conspués chaque jour, dans les termes les plus offensants, par leurs compatriotes[1] ; on les accusait de trahir les intérêts de leur patrie au profit de l’Allemagne ; on les traitait d’« humbles serviteurs de M. de Bismarck » ; il n’était sorte de grossièretés et d’inepties qu’on ne débitât sur leur compte ; les gens sérieux, eux-mêmes, s’inquié-

  1. On alla jusqu’à reprocher au gouvernement de n’avoir pas su associer à la France, dans une action commune contre le Bey, l’Angleterre et l’Italie. MM. Clemenceau, Delafosse et Cunéo d’Ornano se signalèrent par leurs exagérations tandis que Rochefort, amnistié de la veille, s’esclaffait dans son journal : « Une chose étrange, folichonne, translunaire, écrivait-il, c’est qu’il n’y a pas de Kroumirs ! Le cabinet Ferry offrirait trente mille francs à qui lui en procurerait un afin de le montrer à l’armée. » Et les Parisiens se mirent très gaiement à « chercher le Kroumir ». Ce jeu fut fort à la mode sur les boulevards.