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la nation armée.

dans une semblable république le despotisme deviendrait plus intolérable que dans aucune des monarchies absolues de l’Europe[1]. »

Ce sont les États-Unis eux-mêmes qui ont donné à Tocqueville un premier démenti. Leur situation lointaine et leur isolement semblaient favoriser le maintien de la paix. Mais dans leur sein même subsistait un germe de guerre qui arma l’une contre l’autre les deux moitiés de la nation, distinctes de races, de traditions et d’intérêts. Après cette lutte gigantesque de quatre années, nul n’oserait prétendre que la dictature fut impossible, puisque le dictateur se trouvait là tout près, avec un parti pour l’acclamer et nul scrupule pour l’arrêter. Il s’en fallut de quelques bulletins de vote que le peuple n’abdiquât entre ses mains. La dictature n’eût pas duré, sans doute ; mais que de désastres elle eût pu accumuler en peu de temps !

La France était bien plus exposée que les États-Unis : ses tentatives libérales avaient échoué, et, à deux reprises, elle avait subi, pendant d’assez longues périodes, le joug d’un seul. Le régime républicain de 1870 n’avait pas, d’ailleurs, le temps de s’affermir : on se trouvait dans l’obligation d’organiser l’armée en même temps que la liberté. La tâche était effrayante, à ce point qu’elle dut inspirer de secrètes terreurs à plus d’un. N’y avait-il pas moyen de l’éluder ? Sans songer à désarmer, ne pouvait-on indiquer que, dans le nouveau régime, les choses militaires seraient reléguées au second plan ? Combien cette préoccupation en moins eût facilité l’établissement des institutions démo-

  1. A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, t. ii.