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les idées et les mœurs.

dirait qu’ils ont cette arrière-pensée que la génération suivante ne saura rien ajouter par son travail à ce qu’elle aura reçu en héritage. Ils voudraient léguer à leur fils, non pas le petit magot qui servira à lui « mettre le pied à l’étrier », mais le gros magot qui le fera l’égal du bourgeois dont son père fut l’employé. C’est que le nivelage social est fictif ; la loi le réalise en théorie ; dans la pratique, dans les usages, il n’existe nulle part. Les classes subsistent ; on passe plus facilement de l’une à l’autre, voilà tout. « Dans le grand escalier social, dit M. Taine[1], comparant le palais de l’ancienne France à la construction élevée par Révolution, il y avait plusieurs étages. Chaque homme pouvait gravir les marches du sien, mais non monter au delà… à la rigueur, un homme né sur les plus hauts degrés d’un étage parvenait quelquefois à gravir les plus bas degrés de l’étage suivant, mais il s’arrêtait là. En somme les gens de l’étage inférieur estimaient que, pour eux, l’étage supérieur était inaccessible et, de plus, inhabitable. » La comparaison est juste ; mais si la totalité de l’édifice est ouverte à tous, chaque étage n’en conserve pas moins sa physionomie très spéciale : la langue qu’on y parle, le costume qu’on y porte, les manières qu’on y affecte diffèrent de ce qui est usité aux autres étages. Ce n’est pas le talent, encore moins la vertu qui fait le rang ; ce n’est même pas ce que l’on possède ; c’est surtout ce que l’on dépense. En renonçant à certaines habitudes d’existence, on se déclasse. « À partir d’un certain chiffre de rente, de bénéfice ou de traitement, la vie devient pos-

  1. H. Taine, les Origines de la France contemporaine.