peine le rideau tombé, doit craindre de ne pouvoir réunir les documents qui lui permettraient de reconstituer exactement ce qu’il n’a pas vu et de contrôler ce que lui fournit sa mémoire ; il doit s’attendre à des polémiques, à des démentis même, dont l’effet nuira à son œuvre en diminuant encore la confiance qu’elle peut inspirer à ceux qui la lisent.
De telles objections méritent qu’on les examine sérieusement. Elles ne sont point irréfutables, cependant, et perdent beaucoup de leur valeur si l’on se prend à considérer combien l’étude de l’histoire contemporaine diffère aujourd’hui de ce qu’elle pouvait être il y a cinquante ans. Les Annales monarchiques étaient pleines d’imprévu ; les événements y portaient toujours l’empreinte de la volonté souveraine : celle du monarque, ou celle des ministres auxquels le monarque déléguait ou abandonnait l’exercice du pouvoir. À travers la marche des faits, on apercevait l’âme humaine, toujours influencée par les milieux et par les circonstances, agissant néanmoins d’une manière tout individuelle. L’histoire démocratique, au contraire, est pleine de logique ; ce sont les peuples qui la font, et non les hommes ; il y a une sorte de fatalité et de rigidité mathématique dans la manière dont tout s’y enchaîne, et les forces lentes, les courants irrésistibles qui la caractérisent ont des origines profondes et des aboutissements lointains.