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mémoires olympiques

re luxueusement éditée intitulée : Notes sur la France contemporaine, fut remise à chaque congressiste. MM. A. Ribot, Léon Bourgeois, Edm. Perrier,une douzaine de compétences notoires y avaient collaboré. On se demandera où j’en voulais venir. À ce moment, je ne croyais pas du tout la guerre prochaine ni même fatale. Peut-être aurai-je un jour l’occasion d’exposer les motifs de cette opinion ; mais j’estimais que rien n’était mieux de nature à provoquer la guerre que la passion de l’auto-dénigrement qui avait atteint chez mes compatriotes, le degré le plus absurde. Et j’avais d’autant moins de peine à combattre cette passion que je ne l’estimais justifiée par aucune réalité concrète. Deux ans auparavant, causant à Stockholm avec un officier supérieur allemand sous la courtoisie duquel perçait un imperceptible dédain pour la France républicaine, je lui avais dit qu’à mon avis, à aucune période de son histoire contemporaine, la France n’avait recélé un pareil trésor de forces latentes et éparses, dont il suffirait d’une commotion pour constituer un bloc invincible. Je me souviens de la stupeur empreinte dans son regard à l’énoncé de cette opinion par le chef d’un groupement ultra-aristocratique. Il me sentait convaincu. Je n’avais donc en juin 1914 aucun effort à faire pour m’inspirer dans mes actes du sentiment exprimé en toute sincérité en 1912.

Mais comme le sort est souvent ironique, il fit surgir juste à point autre chose d’assez français,… une double crise ministérielle battant les records antérieurs d’instabilité politique. Les congressistes, en arrivant à Paris, y virent tomber le lendemain même de sa constitution le cabinet Ribot, dans lequel M. Léon Bourgeois avait le portefeuille des Affaires Étrangères. Deux jours