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où va l’europe ?

logique de leur principe, leur puissance de conviction et leur organisation disciplinée. Qu’en serait-il d’une humanité que personne ne présiderait plus ?… La perspective est troublante. C’est celle en face de laquelle nous sommes placés. Elle vaut qu’on y songe.


i

le préceptorat mondial

Dans la seconde moitié du xixe siècle, l’Europe était, au regard de l’univers, en possession de toutes les formes de supériorité. Les aventures du début de ce siècle semblaient n’avoir été que de fécondes secousses, vite oubliées, grâce auxquelles les acquisitions du passé s’étaient trouvées vivifiées par des souffles novateurs. L’Angleterre avait réparé ses précédents échecs coloniaux en édifiant un empire polyforme d’une souplesse et d’une élasticité surprenantes. L’Allemagne avait rénové l’art militaire et trouvé le moyen d’identifier l’armée et la nation d’une manière qui ne s’était jamais vue. L’Italie avait réalisé son unité avec un maximum de rapidité et un minimum de violence tout à fait remarquables. L’Autriche et la Russie décevaient les pronostics par la façon dont elles savaient — la première annihiler en les neutralisant les unes par les autres les oppositions de ses nationalismes rivaux — la seconde combiner le souci du perfectionnement matériel avec le maintien de son immobilité traditionnelle. Quant à la France, après avoir, non sans tapage et ostentation, donné sous Napoléon III la recette du « despotisme éclairé » aussitôt recueillie et utilisée par ses vainqueurs, elle paraissait mettre sa coquetterie à refaire maintenant sa fortune à l’aide des trois qualités dont on s’était habitué à la croire incapable, la patience, le sang-froid et la ténacité. Ainsi régnait en Europe un équilibre politique obtenu par le dosage habile et sage de qualités et de conditions contradictoires. Républiques et monarchies, grands et petits États, gouvernements fédératifs ou unitaires constituaient les rouages complexes, mais sûrs, de la machinerie générale.

D’autre part, la prospérité allait croissant sans cesse.