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Où va l’Europe ?



L’Europe était le précepteur du monde. Elle devait cette situation à son passé historique et à sa culture. La voici en passe de la perdre. C’est que, au moment où ses élèves, prenant confiance en eux-mêmes, tendaient à s’émanciper de son enseignement, le précepteur a manifesté sa faiblesse morale et l’insuffisance de ses méthodes. Tel est l’effet de la guerre et de la paix récentes. Le prestige européen est-il donc irrémédiablement compromis ou bien peut-il être rétabli — et de quelle façon ?…

On s’étonnera sans doute que j’envisage sous cet angle unique les problèmes du jour et que je veuille délimiter de la sorte le terrain de mon étude. On ne parle aujourd’hui que de finances, de salaires, de production, de balances industrielles et commerciales. Il semble en effet que ce doive être là l’objet principal des préoccupations. Mais tout cela ne compose après tout que la figure d’une crise longue, redoutable, à péripéties tragiques peut-être… Comme toutes les crises, pourtant, celle-ci sera transitoire. Si, au contraire, l’Europe a perdu définitivement son emprise sur l’Asie, l’Amérique et l’Afrique, c’est l’histoire humaine tout entière qui prend une direction nouvelle, ce sont les peuples qui s’engagent sous des cieux inconnus, c’est une civilisation millénaire qui risque de s’effacer pour faire place à une autre dont nous ne saurions saisir de loin que cette unique mais inquiétante caractéristique : le chantier de construction serait immense, puisqu’il s’étendrait à la totalité de la planète, et les équipes de travailleurs disparates puisqu’elles comprendraient tous les hommes. Ce seraient là des faits inédits. Jusqu’ici les formules de civilisation sont nées autour de centres homogènes ou rendus tels par les circonstances. De là elles ont rayonné, conservant ainsi la