Page:Coubertin - Ou va l’Europe.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
où va l’europe ?

de représailles n’ont pas le relief que nous pensions. Par contre, des constatations se dessinent auxquelles nous ne prenions pas garde : deux surtout qui auront des conséquences considérables. Et la première, c’est qu’en Europe tout le monde s’est trompé ; personne n’a rien su comprendre à temps ni estimer ni juger, ni déduire, ni calculer. Maladresses de gouvernants, maladresses de diplomates, maladresses de généraux même ; toutes les appréciations se sont trouvées fausses et, pour les compenser, il a fallu improviser : c’est le grand mot de la guerre, le système D, comme disait le troupier français. Mais cette improvisation dont les États-Unis ont le droit de s’enorgueillir, elle est singulièrement peu flatteuse pour l’Europe. Voilà l’Allemagne qui préparait la guerre depuis quinze ans pour le moins (personne ne peut sérieusement le nier et d’ailleurs elle le faisait assez ostensiblement !) Elle manque son coup en Belgique, en Angleterre, en Italie. Il apparaît que ses chefs ignoraient tout de la force civique française. Au fait ils n’étaient renseignés un peu exactement que sur la Russie. La Russie, par contre, était une inconnue aussi bien pour la France, son alliée de vieille date, que pour l’Angleterre, si longtemps sa rivale aux portes de l’Inde. Aussi vit-on les Anglais la pousser à l’abîme en croyant travailler pour elle, et les Français ne rien savoir tenter pour l’empêcher d’y tomber. Quant aux États-Unis, ils n’étaient compris par personne. On s’égara à leur sujet, qu’il s’agît de leurs ressources ou de leur mentalité. Les Alliés se firent rouler par les Bulgares, comme ils s’étaient fait rouler par les Turcs, et leur conduite à l’égard de la Grèce fut l’incohérence même. Leurs adversaires, eux, trébuchaient à chaque instant dans leurs propres pièges. De part et d’autre on organisa une « propagande » qui d’un côté ne fut pas fort honnête, mais qui, de l’autre, fut souvent burlesque. Et l’on peut se dire que dans les deux cas les propagandistes ont plutôt travaillé contre les intérêts qu’ils voulaient servir.

Alors ?… Alors, tout cela n’est pas très reluisant à l’actif de l’intelligence européenne, de ses procédés de compréhension et d’exécution. Mais il y a encore autre chose.