Page:Coubertin - Ou va l’Europe.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
24
où va l’europe ?

Le régime républicain s’est partout trouvé à la hauteur des circonstances. Aussi, au lieu de trois républiques que renfermait l’Europe au moment de la guerre, elle en compte neuf en ce moment, sans parler des États encore en formation.

L’Europe se distinguait aussi par ses aristocraties. On avait bien supprimé la plupart des hérédités de droit, mais elles subsistaient en fait ; une famille, une fois élevée, recevait de l’opinion et des institutions les plus grandes facilités pour se maintenir parmi les privilégiés. Nous avons déjà vu avec quelle rapidité s’était dessinée, dès le début du xxe siècle, la corruption croissante des aristocraties européennes. La guerre eût pu leur être une salutaire secousse, mais il n’en fut rien. Elles firent en général preuve de bravoure, d’une bravoure toutefois qui s’efface quelque peu devant celle des humbles mourant héroïquement, sans savoir assuré le sort des leurs ! La bataille terminée, la danse des passions viles a repris de plus belle autour du veau d’or. L’idole, plus que jamais, fut adorée et encensée. Il y a toujours une détente après les grands efforts nerveux et cela est normal et sain. Mais la bacchanale actuelle n’est pas une détente. C’est simplement le signe d’une morale épuisée, l’aveu d’une société qui s’abandonne.

Si la suprématie européenne devait être rétablie, il semblerait donc impossible qu’elle pût l’être avec les éléments sur lesquels elle s’était appuyée jusqu’ici. Formules gouvernementales, vie religieuse, force armée, diplomatie, outillage, production intellectuelle, presse, législation… on chercherait en vain la possibilité de faire accepter désormais par les autres parties du monde l’idée d’une supériorité quelconque de notre part sur aucun de ces points. Aussi plus on ira, moins elles seront consentantes à recevoir les enseignements de l’Europe. Mais il pourrait en être autrement s’il surgissait un ordre de problèmes encore inabordés, d’un intérêt à peu près universel et vers la solution desquels l’Europe s’orientât avec vigueur et décision. Alors elle aurait chance peut-être d’être appelée à nouveau à tenir le gouvernail. Or un tel ordre de problèmes existe : ce sont les réformes sociales.