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où va l’europe ?

totalité et ne se comprenant plus tout en croyant se comprendre, ce qui produit de toutes les collaborations la plus défectueuse et la plus dangereuse.

La muraille s’est alors haussée et épaissie entre la simplicité de l’enseignement primaire et la complexité des ordres suivants. Autrefois, le secondaire était un primaire qui avait « continué ». Celui qui n’avait pas continué pouvait du moins le suivre des yeux. Il savait à peu près où il allait. Rien de tel maintenant. La muraille est presque infranchissable mentalement. Elle a isolé le prolétariat de la bourgeoisie au point de vue intellectuel, sans doute pour la plus grande satisfaction des intérêts de classe de la seconde, mais pour le plus grand dam des intérêts de l’humanité.

Tout cela est parti d’Europe et l’Europe s’y tient avec une ténacité obscurantiste, sans vouloir se rendre compte de tout ce qui en est résulté de mauvais. Ailleurs, les effets s’en sont atténués. Dans les pays neufs ou rajeunis, bien des circonstances y ont aidé. Les hommes en ont bénéficié inconsciemment, mais la lumière se fera en eux, et l’Europe, au point de vue pédagogique, y perdra les derniers restes d’un prestige suranné. On conçoit donc que si elle veut restaurer ce prestige, il lui faille au préalable adopter une pédagogie nouvelle appropriée aux besoins d’une humanité en voie de complète transformation.


xiv

Telles sont les perspectives que j’entrevois pour l’Europe. On me trouvera volontiers subversif, mais j’ai l’habitude de regarder loin et de parler franc. Qu’on veuille donc m’excuser… Aussi bien je me demande s’il ne me faut pas, pour finir, recourir à l’amusante formule qu’employait un gouverneur des colonies qui n’avait guère confiance dans l’énergie sinon dans l’entendement des gens de la métropole. Lorsqu’il avait brièvement énuméré les mesures, souvent radicales, qu’il jugeait opportun de suggérer, il terminait, sans plus s’y attarder, par ces mots : « Voilà ce qu’il faudrait faire, mais comme vous ne le ferez pas, il est inutile que j’y insiste. »

J’ai grand’peur, hélas ! de devoir en dire autant.