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la question nègre

qui l’emporteraient sur les défauts de la race inférieure ?

Nul n’a droit de reprocher aux nègres leur attachement envers cette Amérique où ils ne sont pas venus volontairement, mais où ils prétendent demeurer. Nul n’a droit non plus de reprocher aux blancs leur attitude défensive en face d’un péril ethnique dont, en Europe, on s’effrayerait tout autant. Seulement, sur trois solutions, en voilà déjà deux qui se trouvent inutilisables ; il faut donc se rejeter sur la troisième, — ne pouvant ni se débarrasser des nègres ni les absorber, il n’y a plus qu’à les tolérer.

Est-ce si difficile ?… De leur côté, aucune aversion n’existe. Après la grande misère d’Afrique, l’esclavage américain fut pour eux une période de douceur relative et de réelle amélioration ; ils n’en ont point conservé au fond de leurs esprits une image mauvaise. Au lendemain de l’émancipation, ils ont naturellement dansé le cake-walk de la liberté lequel s’est accompagné de quelques méchants tours à l’endroit de leurs anciens maîtres, mais bien vite l’habitude les a ramenés vers ceux-ci ; ils se sentaient désorientés d’ailleurs devant les initiatives et les responsabilités de la vie libre ; sous ce rapport ils ont peu progressé : si leur humeur les porte à changer souvent de métier, le service du blanc continue à leur plaire ; c’est la condition pour laquelle ils se sentent faits et dont ils acceptent les devoirs le plus volontiers.

Le blanc, à son tour, se passe malaisément de leur aide ; il aime leur large sourire et leur souplesse féline, leur joyeuse insouciance et leur enfantine fatuité. Un rien suffit évidemment à rompre entre eux l’entente, mais un rien la rétablit. Avec le Chinois, en Californie, elle n’existe jamais. Cette souplesse et cette insouciance qui lui plaisent, cette gaieté et cette fatuité qui l’amusent, le blanc tient toutefois à les voir s’épanouir au second rang, en sous-ordre ; il ne tolère pas d’être gouverné par elles.