Page:Coubertin - Pages d’histoire contemporaine.djvu/148

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
132
la marche arrière

Victor-Emmanuel iii quand et comment on doit faire usage de la marche arrière, et interrogez en même temps les Allemands et les Italiens pour connaître les avantages que retire un peuple d’une pareille manœuvre exécutée à point nommé par ses dirigeants. Nos voisins du Sud-Est tout comme nos voisins de l’Est sont sortis à reculons de l’impasse anticléricale : les seconds bruyamment parce qu’ils tenaient à ce qu’on le sût, les premiers discrètement parce qu’ils avaient intérêt à n’en rien laisser paraître. Tandis qu’une escorte de cuirassiers retentissants accompagnait naguère au Vatican le cortège du César germanique, dans le budget italien venaient s’inscrire sans bruit, pour les missionnaires et leurs écoles d’Orient, des crédits de plus en plus nourris. Par là, l’unité morale de l’Allemagne dont Bismarck, imprégné de prussianisme intransigeant, s’était montré si peu soucieux de réunir les éléments, aura reçu un puissant renfort ; par là aussi, l’Italie moderne, mûre pour le rayonnement extérieur, se sera préparé un incomparable outil d’expansion nationale et aura posé les bases de sa domination future sur les rives de la Méditerranée.

Et nous ? — nous dont l’anticléricalisme, semeur de haines, réduirait en charpie à la longue le tissu séculaire, nous dont il ruine, en attendant, les lointains avant-postes et annule les privilèges traditionnels, ne pouvons-nous donc point reculer ? Impossible. La grande majorité le désirerait ; à la Chambre, aux premiers rangs de ceux qui crient très fort, dans le cabinet même, parmi les instigateurs de mesures déplorables, le recul aurait des partisans. Mais la machine française a été construite pour n’aller jamais que de l’avant jusqu’à ce que pressée entre de hautes murailles, acculée au précipice, elle doive être, à bras d’hommes et à grands frais, renversée et retournée pour repartir dans l’autre sens, toujours avant.