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la marche arrière

C’est alors la réaction. Là où le recul n’effrayerait point, la réaction fait peur. Pensez donc : on roule de nouveau imprudemment vers d’autres murailles et d’autres précipices ; il y a des dégâts probables et des écrasés certains. Pour éviter cette réaction redoutable, la Révolution a poussé ses doctrines à l’absurde, son héroïsme au crime et sa générosité à la pleutrerie. Pour l’éviter, Napoléon Ier a chevauché d’une allure infernale sa course à l’abîme. Pour l’éviter, Charles X a perdu la monarchie et Louis-Philippe a sacrifié dix-huit années d’efforts. Pour l’éviter, la deuxième République a abouti aux journées de Juin. Pour l’éviter, la nation, à son tour, s’est jetée dans les bras d’un dictateur et le dictateur s’est rué vers la guerre. Que de maux pour un rouage qui manque !

Il n’a pas toujours manqué. Louis XI savait que le recul est parfois un des plus sûrs moyens d’avancer et Henri IV en a donné, avec son incomparable brio, une démonstration sans pareille. Mais, depuis lors, les encyclopédistes ont passé et Jean-Jacques, auquel certaines ingéniosités pédagogiques n’avaient point suggéré l’art de conduire les hommes, a semé sur nos sillons le grain des fâcheuses utopies. Aujourd’hui apparaît une nouvelle génération qui se laisse encore conduire au nom d’idées abstraites mais dont les franches réalités obtiennent les préférences et captivent l’attention. Elle s’élève en silence tandis que les doctrinaires aux formules cassantes et les rêveurs aux lubies morbides mènent autour d’elle leur ultime sabbat. Ce goût des réalités constitue l’espoir de l’avenir, car il ne vient pas des sciences dites exactes. L’esprit scientifique ne paraît guère propre à développer le sens pratique ; il produit presque autant d’incertitudes que l’esprit philosophique, et beaucoup plus d’orgueil. Aussi n’est-ce point de ce côté que pourrait naître l’aurore salutaire. Il en va autrement des sciences appliquées, surtout quand il s’agit d’une appli-