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la marche arrière

cation exigeant le renfort de qualités morales telles que l’audace, l’initiative et le sang-froid.

Ne croyez pas que le désir de poursuivre jusqu’au bout une comparaison inattendue m’incite à ce paradoxe du perfectionnement politique engendré par l’automobilisme. Certes, d’autres sports exercent une action physiologique bien supérieure et sont, au point de vue de l’hygiène, infiniment plus recommandables ; rien ne prouve même que pour avoir trop « chauffé », certains de nos contemporains ne créeront pas quelque nouveau type de maladie nerveuse héréditaire. Par contre, la leçon de choses qu’aura fournie ce sport-là, appuyé d’un côté sur une industrie florissante, de l’autre sur un travail manuel obligatoire, ne saurait manquer de poser une forte empreinte sur la mentalité malléable de notre race. Quiconque a fréquenté cette année le Salon de l’Automobile a dû s’émerveiller devant l’intérêt passionné et la compétence embryonnaire avec lesquels la masse de ceux qui n’ont jamais possédé une voiture ni manié un guidon accueillait les nouvelles marques et discutait les anciennes. « Madame Foule », celle-là même dont Maurice Donnay expliquait naguère aux lecteurs du Figaro l’état d’âme à la fois simple et complexe, madame Foule est conquise par l’auto ; c’est un fait, et ce fait aura des conséquences intellectuelles et morales.

Inconsciemment, madame Foule souhaitera de voir fonctionner le char de l’État comme ses machines préférées ; elle demandera que l’on jette dans la poussière le poids mort des fourniments inutiles ; elle proclamera que la prudence et l’opportunisme sont encore les meilleurs garants de vitesse durable, en politique comme sur les routes ; elle réclamera enfin l’usage fécond de la marche arrière.