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donner sans retenir

intense dans les sphères officielles italiennes. Quelle aubaine inespérée ! Elle était fort gênante, cette convention de Septembre, car enfin c’était un traité tout comme celui des Pyrénées, seulement plus court, moins complexe et, partant, plus aisé à observer. Une des parties l’avait violée et voici que le représentant de l’autre, sans rien demander en retour, sans formuler même la moindre réserve, félicitait le violateur de son exploit. Dans la vie privée, de quelle appellation bien justifiée ne coifferait-on pas le particulier capable d’agir ainsi — et quels quolibets ne s’attirerait-il pas ? Il en est des gouvernements comme des individus ! Renoncer spontanément à un privilège quelconque ou même à une bribe de privilège sans chercher à en tirer quelque profit équivaut à se décerner un brevet de sottise. Le dernier des attachés d’ambassade sait cela ; mais M. Senard l’ignorait ; « donner sans retenir » constituait à ses yeux l’expression suprême de la probité politique. C’était la maxime fondamentale de sa diplomatie ; et comme, ennemi irréconciliable du pouvoir temporel, il réprouvait encore l’annexion à la France de Nice et de la Savoie et ne se gênait pas pour le dire tout haut, on peut croire qu’il n’eût point tardé à offrir au roi d’Italie le rétablissement « virtuel » de ses anciennes frontières. D’un trait génial il eût souhaité d’annihiler le résultat obtenu par l’héroïque effort de nos petits soldats, il eût restitué les territoires — français d’ailleurs de par la géographie, l’histoire et la volonté des populations — que nous avait conquis leur vaillance ; avoir lutté pour la liberté d’autrui devait suffire à leur mémoire. Fort heureusement, M. Senard reçut de M. de Chaudordy une verte semonce et, malgré qu’il eût affecté d’y répondre avec un superbe dédain, en affirmant à la fois son talent et son droit, cette aventure ramena un calme relatif dans ses esprits ; mais bientôt d’ailleurs il fut rappelé et sa lamentable mission prit fin.