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chimères

Une diplomatie agile pénétra partout et des escadres nombreuses apportèrent les saluts des rois. La République connut le succès parce qu’elle avait rempli en conscience son labeur quotidien, sériant les questions, abordant un point après l’autre…

Mais voici que, tout à coup, devant nous se dresse la chimère et que nous lui sourions. La bête, cette fois, est vieille, bien vieille ; ses ailes usées la porteront tout juste au bourbier le plus proche où elle tombera et d’où nous aurons, l’ayant suivie, grand’peine à nous tirer. Elle se nomme l’Émancipation. Elle promet aux hommes, à condition de rompre avec les Églises, la fin de leurs angoisses par l’explication naturelle de leurs destins ; elle leur fera une conscience toute neuve et leur procurera un flambeau joyeux pour se conduire à travers la vie… Et cela prend, chose prodigieuse ! Une élite à laquelle trente siècles d’histoire fournissent pourtant les éléments d’une critique docte et sûre accepte ces naïves perspectives et s’en repaît. Un gouvernement que sollicite des besognes précises telles que l’entretien des forces nationales, le maintien du crédit public, le développement du commerce et de l’industrie, l’accroissement des transports, la mise en valeur des colonies, l’amélioration du sort des travailleurs… un gouvernement qui a de pareils devoirs à remplir s’en désintéresse pour discuter jusqu’à quel point les vœux de chasteté, d’obéissance et de pauvreté entament la personnalité humaine et s’il est convenable que le Saint-Siège corresponde avec les évêques par le canal de la nonciature ou même par le service ordinaire des postes, en se servant de la langue italienne aux lieu et place du latin.

Les gens qu’occupent de telles billevesées se croient de grands hommes. Ils attendent de la postérité une chaude reconnaissance. Et comme il est douloureux de penser que la postérité s’occupera d’eux en proportion seulement des dommages qu’ils auront causés à leur patrie, de l’avance que lui auront fait perdre leurs disputes oiseuses, du mal qu’aura engendré leur sottise béate !