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que ferons-nous ?

assez d’en disputer, le moment venu, et la France, du moins, aura conservé toute sa liberté d’action et pourra se diriger d’après les circonstances. » Mauvaise prudence. C’est avec de tels raisonnements que nous avons couru, tête baissée, vers la catastrophe de 1870. Si nous avions un peu plus parlé des projets de la Prusse, Sedan eût pu être évité et Sadowa atténué. Faute d’y avoir réfléchi, nous fûmes pris de court. Cette fois, nous ignorons, il est vrai, la teneur des engagements qui nous lient à la Russie. Sommes-nous libres ?… Non, non ! s’écrieront les russomanes, ceux pour qui l’alliance est un drochki dans lequel la France doit faire le cheval et la Russie le cocher. Mais, si même nous sommes engagés d’avance, nous aurons bien notre mot à dire à nos alliés et, pour le dire à propos, il convient d’y avoir songé.

Toute la question, du point de vue français, se réduit à ceci : La France a-t-elle des raisons sérieuses de faire la guerre pour empêcher les Allemands d’Autriche de se réunir à l’Allemagne ? Des raisons de sentiment, sans doute elle en a ; il est à peine besoin de les indiquer et le sentiment, d’ailleurs, ne se discute pas. Mais des raisons d’intérêt ? où sont-elles et que valent-elles ? Pour le savoir, il faut se pénétrer d’abord de cette vérité que, dans une guerre russo-franco-allemande, la France, quand même elle ne ferait que prêter assistance à la Russie, serait la plus exposée et aurait à supporter les premiers coups et les plus rudes. Le sort momentané de la Bohême serait vite réglé : le losange tchèque est pris comme dans une toile d’araignée de lignes stratégiques, et tout a été préparé à Berlin avec une minutie et une prévoyance invraisemblables pour que l’occupation s’opère en coup de foudre. Ce point réglé, il est bien clair que l’effort germanique portera sur le Rhin pendant que, sur la Vistule, on s’en tiendra le plus longtemps possible à la défensive. Ce n’est pas tout. Si la victoire, après quelques hésitations, se dessinait en faveur des armes franco-russes, ce serait bien mal connaître l’Angleterre que de compter sur sa neutralité persis-