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que ferons-nous ?

tante. L’Angleterre veut du mal à l’Allemagne, c’est entendu ; mais elle en veut également à la Russie[1] et ne désire le bien de la France que jusqu’à un certain niveau ; si elle redoute une France appauvrie et diminuée, elle redouterait plus encore une France triomphante alliée à la Russie. Sans participer à toutes les violences de la guerre, elle peut, sur l’immense étendue de nos côtes, semer de terribles dommages ; elle pourrait même laisser son épée au fourreau et jeter dans le plateau de la balance quelque glaive exotique, le japonais ou bien le siamois — et que deviendrait alors l’Asie française ?

On doit se garder ici de verser dans le prophétisme, je n’y contredis pas. Mais quiconque observe et raisonne admettra pourtant qu’un conflit armé entre la France, la Russie et l’Allemagne ne saurait être une petite affaire et que, quelles que fussent les circonstances concomitantes, c’est la France qui subirait le choc principal. Ne craignez-vous pas aussi qu’elle ne paye les « pots cassés » ? Car, dans toute guerre, même les vainqueurs ont à payer. Et qui sait si on ne nous demanderait pas gentiment, pour aider à rétablir l’équilibre et l’harmonie, quelque cession coloniale en retour d’une trentaine de kilomètres lorrains, chichement mesurés, dont on ferait miroiter à nos yeux la valeur morale et le caractère sacré ? Sans remonter jusqu’à Louis XV, nous avons possédé des gouvernements capables de négocier sur de pareilles bases. De grandes pertes, une forte saignée, notre admirable empire colonial affaibli et peut-être entamé, voilà ce que nous coûterait la simili-revanche dont nous comprendrions trop tard l’ironique néant. Ce n’est pas sur le Rhin, c’est sur le Niger et sur le Mékong que résident désormais la grandeur à venir de la France et le secret de sa puissance.

  1. Les circonstances à cet égard ont heureusement changé (note de 1909).