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miner ces éléments constitutifs de chaque sport en même temps qu’à fixer la durée approximative de la « mémoire des muscles ». L’armée suisse me fut à cet égard un excellent terrain de contrôle, le département militaire de la Confédération m’ayant muni d’une lettre circulaire qui m’ouvrait les portes de toutes ses casernes. Cette armée « intermittente » repose en effet sur le principe de la mémoire musculaire dont elle constitue une application en grand. Par ailleurs, j’eus le précieux appui d’un illustre sportsman. J’envoyais le détail de mes expériences au président Roosevelt ; il y répondait longuement et son approbation de mes conclusions les rendait chaque fois définitives à mes yeux car nul n’égala jamais sa compétence en matière de sport.

Ainsi naquit la « gymnastique utilitaire ». Je la définis par son objet qui est de donner « la connaissance élémentaire des exercices concourant au sauvetage, à la défense et à la locomotion en dehors de toute préoccupation d’y exceller ou de s’y classer » et je pris soin de spécifier qu’elle s’adresse uniquement « aux garçons normaux âgés de plus de quatorze ans et déjà assouplis par la gymnastique générale en usage dans les établissements scolaires ». Je me gardai de faire aucune incursion sur le terrain de cette gymnastique générale. Nombreux sont les systèmes en présence et passionnés sont leurs partisans. Or si certains systèmes sont meilleurs que d’autres, je crois bien qu’il n’en est pas de parfait et qu’il n’en est pas non plus de tout à fait mauvais ; en somme ils valent surtout par ceux qui les appliquent.

Quant à la mémoire des muscles, j’arrivai à préciser que « le jeune homme et l’homme fait doués d’aptitudes physiques moyennes ont besoin de trois à six séances tous les dix à dix-huit mois c’est-à-dire que, pour chaque exercice, il faudra de trois à six séances, à des intervalles variant de dix à dix-huit mois. À chacun de trouver sa mesure exacte et de s’y tenir[1] ». Ainsi l’homme se maintiendra dans l’état de « demi-entraînement » ; le « demi-entraîné » est celui qui « peut à tout moment substituer à sa journée habituelle une forte journée de travail musculaire sans dommage pour sa santé — sans que le soir, son appétit et son sommeil

  1. Il s’agit, cela va de soi, de séances sérieuses dans lesquelles l’homme n’économisera pas sa peine. On entend bien qu’une promenade à cheval au pas ou au petit trot, cinq minutes d’escrime ou le tour à l’aviron d’un étang minuscule seraient sans efficacité. Un seul exercice échappe aux conditions ordinaires : la course. Si l’on veut conserver la faculté de courir, il faut s’exercer le plus souvent possible et, plus on avance en âge, plus cette fréquence devient nécessaire.