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LES ASSISES DE LA CITÉ PROCHAINE


futuristes se flattent de découvrir des formes nouvelles. Ils seront conduits malgré eux à utiliser les principes de ces deux formes anciennes par ce motif qu’après tout il n’en existe pas d’autres. Poussez votre investigation à travers les temps historiques, des tribus africaines aux clans nordiques, du chinois à l’aztèque, de l’anglo-saxon au slave, vous retrouverez toujours le double germe que Rome et l’Hellade ont simplement fait fructifier avec un tel éclat que leurs noms y demeurent attachés.

Mais cela ne veut pas dire que des accommodements ne puissent surgir et que les termes du dilemme soient contradictoires. Le passé en est garant. L’intégration de la cité grecque dans l’empire romain est un des phénomènes les plus instructifs de l’histoire et il est regrettable qu’un nouveau Fustel de Coulanges ne se soit pas rencontré pour en scruter et en mettre en relief les phases successives.

Laissons donc de côté la question de l’évolution de l’étatisme. Dut-il s’orienter vers un absolu auquel pour ma part je ne crois guère, le rôle de la cité moderne en serait à peine diminué. C’est qu’elle puise sa force grandissante non dans des aspirations ou des raisonnements, pas même dans une législation en passe de s’établir, mais dans des réalités acquises et dans des nécessités inéluctables. Songez à la situation inattendue qu’ont créée la T.S.F., les avions, l’automobile, les progrès de la chimie pratique d’une part — et de l’autre, l’uniformisation de l’existence et la substitution d’une classe unique aux divisions sociales jusqu’ici prédominantes.

De cet état de choses encore inachevé mais déjà fortement dessiné, une vue hâtive ou superficielle porterait à conclure que la cité va sortir diminuée en cohésion, en personnalité, C’est tout le contraire, on s’en aperçoit déjà. La logique du reste le confirme. Les inventions susdites, par les applications dont elles sont susceptibles créent de la mouvance, de la sociabilité, de l’interpénétration… c’est entendu. Mais elles créent en même temps de l’indépendance, donc de l’autonomie renforcée. La cité n’était pas maîtresse du chemin de fer, du télégraphe, du téléphone… elle l’est ou peut l’être de ses autos, de ses avions, de sa T.S.F. La chimie tient en réserve pour elle des facilités singulières qui, sans atteindre au degré prédit par Berthelot, pourront jouer dans son alimentation un rôle considérable.

Parallèlement sa pépinière de desservants et de dirigeants croit en nombre et aussi en qualité pratique. Viennent des circonstances troublées qui la vouent à un isolement relatif et plus ou moins durable, elle sera bien mieux à même de se suffire que ne le fut sa devancière du iiie siècle par exemple lorsque commencèrent de craquer les cadres de la civilisation étatiste.

J’ai parlé de « nécessités inéluctables ». Ce qui va bientôt dominer partout c’est l’obligation de l’économie. Or, par une conséquence de cette uniformisation des habitudes d’existence que je vous signalais, la dépense individuelle s’est accrue considérablement et de telle manière que ni l’arrêt du gaspillage administratif ni le refrènement du luxe inutile ne sauraient y apporter de réelle compensation. Il faudra donc recourir à l’introduction d’un principe nouveau, d’une méthode inédite. Ce principe c’est celui de l’intermittence que je me souviens d’avoir déjà, à Lausanne, signalé il y a trois ans comme seul capable d’arrêter la course à la débâcle qui s’est déclenchée et s’accélère sous nos yeux. On est aveugle, Messieurs, en vérité. On l’est parce qu’on s’est accoutumé à des raisonnements et à des calculs d’une rigidité mathématique sans tenir compte de la pesée des impondérables pas plus que des forces psychiques dont la qualité mathématique — si elle existe — échappe à notre appréciation. L’opinion s’est habituée à peu près partout à l’idée de ressources indéfinies et à la conclusion qu’un productivisme intégral et une répartition rationnelle auront raison de toutes les difficultés. C’est ainsi qu’après que la question politique a longtemps dissimulé aux regards des gouvernements et des gouvernés la question économique, celle-ci à son tour cache actuellement la question sociale laquelle à mon avis est à la base de tout le désarroi présent. Or, ne l’oublions pas, la question sociale est une question d’ordre passionnel rendue dangereuse par ce