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« l’intensité d’expression » qui est « l’essence de l’art moderne ».

Car ce théâtre du Jorat a ceci d’étrange et de charmant qu’il est tout à la fois très moderne et très antique. Il épuise les progrès réalisés dans l’art du décor et de l’éclairage, car la lumière électrique bien modulée doit désormais « accompagner le drame de sa musique silencieuse ». Il se défend résolument d’être « une chaire de morale » et veut que le peuple se retrouve en lui « dans son réalisme et sa poésie ». Mais il va rechercher le chœur grec et le rétablit dans ses droits. Morax en a tiré de surprenants effets. Comme pour mieux marquer d’ailleurs à quel point cet art moderne est proche de l’antique, l’Orphée de Gluck a été représenté à Mézières en 1911 avec une rare perfection et ceux qui étaient présents ont conservé dans leur mémoire l’empreinte d’une joie artistique inégalée. Puis Morax reprit possession de la scène avec son Tell : Tell écrit par un suisse du xxe siècle qui apporte à dessiner le relief de cette primitive figure une simplicité réfléchie et voulue.

Le théâtre de Mézières ne se distingue point extérieurement des fermes voisines. C’est un ensemble de bâtiments de bois aux larges toits écrasés couverts de tuiles rouges et dont rien n’accuse du dehors la destination artistique. La salle a trente mètres de long et contient onze cents places en amphithéâtre disposées sur un plan très incliné. La salle est séparée de la scène par un vaste proscenium avec perrons destiné aux évolutions du chœur. La scène a dix mètres d’ouverture au rideau et plus de vingt-cinq mètres à la toile du fond ; ainsi est respecté le principe nouveau que cette dernière dimension doit s’élever à près du triple de la première. Tout prêt pour son inauguration qui eut lieu le 7 mai 1906, le théâtre, avec ses décors et sa scène équipée avait coûté environ 90,000 francs. La Société destinée à l’exploiter était au capital de 45,000 francs divisé en parts de 25 francs. Le terrain était loué par le syndic au nom de la commune à raison de 150 francs l’an. Le gouvernement versait 2000 francs de subvention. Que voilà des chiffres modestes et que de belles choses on pouvait faire hier — et on pourrait faire encore aujourd’hui — avec peu d’argent ; à condition que ce peu d’argent soit multiplié par le vouloir et l’idéal.