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de leurs actes, on imite leur conduite. De là — et point d’un instinct mercantile — est venue cette soif du dollar, caractéristique de la civilisation américaine et dont les Européens ne comprennent guère la nature ni la portée. Dans le dollar, l’Américain cherche beaucoup moins l’argent que la force, la jouissance que le pouvoir, la satisfaction d’être riche que la gloire de l’être. Et à quoi fait-il servir ces choses, quand il les possède ? Il ne songe guère à sa famille ; il songe à son pays, sous forme de fondations, souvent admirables, parfois puériles.

Mais, revenons-en à l’histoire. Nous y trouvons des tendances non équivoques au despotisme. Comment ont été organisées les partis politiques, les innombrables sociétés secrètes ou non, les sectes, les unions, les syndicats, les confréries, les ordres, qui pullulent, presque depuis l’Indépendance ? Partout on trouve le despotisme, — despotisme démocratique s’entend, celui qui a le bulletin de vote à la base et sur lequel reste suspendue l’épée de Damoclès de la non-réélection. Le citoyen des États-Unis subit de la sorte d’énormes contraintes, non pas en résigné, mais en satisfait ; il aurait pu parfois, d’un coup d’épaule, renverser l’oppression, briser les entraves : il ne l’a pas fait. À voir la facilité avec laquelle il s’est laissé imposer le joug de certains hommes, a obéi à certaines lois, supporté certains abus, enduré certains tracas, on en vient à se demande s’il ne sera pas, dans l’avenir, de ceux qui consentiront le plus volontiers les mainmises de l’État, de ceux qui se trouveront le mieux préparés à permettre une expropriation partielle de la liberté de l’individu au nom du bien public.

Cela peut se faire en vue du militarisme ou en vue du socialisme. Ne prophétisons pas. Bornons-nous à relever, dans les annales des États-Unis, pas mal d’accoutumances militaristes et socialistes et demandons-nous s’il existe un frein, quelque chose qui, en dehors de la sage parole de Washington, — si longtemps écoutée, mais affaiblie aujourd’hui par la distance des années et l’évolution des esprits, — puisse retenir les États-Unis sur la pente de l’ingérence extérieure ou de la transformation radicale à l’intérieur.

L’intérêt serait-il ce frein ? Je ne le crois pas et voici pourquoi. Je vous disais tout à l’heure que, dans sa poursuite de la fortune, l’Américain recherche surtout la force. Nous n’apercevons rien dans son passé qui indique la permanence de cet instinct d’enrichissement, rien qui prouve qu’un tel instinct soit inhérent à sa nature même et qu’il doive y subordonner