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ce faiseur de présidents. Blaine avait distrait cette idée du patrimoine national et en avait fait le pivot de ses combinaisons à longue portée. De même qu’il préféra créer des chefs d’État que l’être lui-même, il aima mieux agir dans l’avenir que dans le présent. Son congrès panaméricain de 1889 fut beaucoup plus qu’un échafaudage électoral : ce fut une pierre d’attente, et si des lauriers militaires poussent à l’entour, la construction ne tardera pas à sortir de terre. Voilà donc, à côté de la mission générale et vague des États-Unis dans le monde, une mission très précise, une sphère d’action bien délimitée.

Maintenant cette sphère d’action sera-t-elle la seule ? Je ne le crois pas et je vous en signale une autre sur laquelle il est d’autant plus intéressant d’arrêter le regard que le panaméricanisme réserve vraisemblablement aux États-Unis plus d’une surprise désagréable, plus qu’un déboire. C’est du moins ce qui apparaît si l’on consulte la géographie. Prenez le planisphère et vous apercevez aussitôt que l’Amérique du Sud est moins voisine économiquement des États-Unis que de l’Europe et de cette vaste dépendance de l’Europe qui est l’Afrique.

La race, la civilisation concourent aussi à la rapprocher de nous et si l’Angleterre ne vient pas à la traverse et ne modifie pas l’équilibre de cette partie du globe (ce qu’elle pourrait bien faire, à en juger par les progrès de son influence dans la République Argentine), l’Europe pourra sans doute y lutter avantageusement contre le protectorat des États-Unis. Mais il existe d’autres républiques que celles du Sud-Amérique, des républiques qui ne portent pas ce titre et peut-être ne le porteront point de longtemps, mais qui n’en jouissent pas moins de tous les privilèges des États libres. Ce sont les diverses communautés de l’Empire Britannique. Une amitié croissante les relie aux États-Unis. Si l’on écrivait une histoire détaillée des rapports de l’Amérique du Nord avec le monde anglo-saxon, vous seriez surpris d’y constater combien, dès le lendemain de l’indépendance, ces rapports ont été empreints de vraie sympathie. Tout en notant (comme ont pu le faire, depuis, nombre de voyageurs) des expressions haineuses à l’égard des Anglais, Tocqueville ne s’est point appesanti sur cette haine qu’il sentait parfaitement n’être que « de l’amour tourné à l’aigre ». Le petit speech, — si peu protocolaire, adressé par George iii à John Adams qui lui présentait, au lendemain de la paix de Versailles, ses lettres de créance, contient en quelques lignes tout le programme de l’avenir. Il était à prévoir, dès cette époque, que « l’unité de lan-