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Dès lors, chaque journal fut au service du sensationnalisme : attirer à tout prix l’attention ; la retenir à tout prix, ce fut la maxime essentielle, celle qu’on ne formule même plus parce qu’elle est hors de discussion et irremplaçable.

Transportée dans notre vieux monde, elle y causa un affreux grabuge. Là-bas, elle avait surtout engendré en somme du hâtif, du bâclé, des constructions en façades mais derrière lesquelles rien n’empêche de créer du définitif et de l’achevé ; et les Américains y travaillent. En Europe, ce fut autre chose. Notre civilisation lentement édifiée s’en trouva ébranlée. Cet appel incessant à la disproportion, au manque de mesure et d’équilibre, rompit des digues plusieurs fois séculaires. Les qualités acquises ne s’entendirent point avec ces habitudes nouvelles arrivant d’outre-océan ; et ajournant ses scrupules, la presse se résigna puis se plut à verser dans le culte du sensationnel. Elle y entraîna ses lecteurs.

Pour apercevoir l’énormité de la transformation subie, il faut beaucoup y réfléchir, se reporter en arrière, comparer. Alors comme par des fissures dans les nuages, on aperçoit l’ancien firmament, on se rend compte de la déformation subie par l’entendement, la culture…… bien souvent nous nous plaignons qu’il y ait autour de nous comme une poussée de vulgarité et nous en accusons la politique, le mouvement social, l’indifférence religieuse…… Mais non ! ce qui vulgarise ainsi le monde, c’est ce besoin du sensationnel qui s’est répandu partout : mauvais opium qu’aucune fumerie cachée n’a souci de distiller puisqu’il est partout, à la portée de tous.

Voilà, en ce qui concerne la presse, le grand méfait américain. Il y en a un autre, bien moindre mais digne d’être noté cependant et dont la France est principalement responsable. C’est ce que j’appellerai en usant d’un nouveau barbarisme puisque ce soir je ne les compte plus : le « littératurisme ». La pauvre littérature d’aujourd’hui, si courte d’inspiration, si cherchée d’expression et si entachée d’une pornographie inconsciente à force d’être répandue, s’est emparé du journal. Autrefois, elle y avait sa place à part : le bon feuilleton, réputé ne faire la joie que des vieilles concierges et qui, en réalité, était attendu impatiemment par autant de locataires. Pourquoi en sourire ? Cette manière de soutenir l’intérêt d’un récit et de le rendre palpitant n’est ni moderne ni locale : c’est le principe des Mille et une Nuits et les feuilletonistes auraient dû élever un monument en l’honneur de la célèbre sultane qui leur ouvrit la voie. Du moins, le feuilleton limitait-il la participation de l’esprit littéraire dans la confection