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difficilement au diapason du lyrisme exalté des révolutions littéraires ; et plusieurs d’entre eux sont trop pénétrés de leur conviction artistique pour accepter les variations de la critique. Vauquelin de la Fresnaye à la queue de la Pléiade, Bouilhet chez les romantiques, ne sont guère que des suiveurs ; Wace ne s’attarde pas dans la forêt de Brocéliande, Malherbe rompt avec les ronsardisants. Parfois même les Normands se désolent ou s’indignent des goûts littéraires dominants, quand ceux-ci ne peuvent pas se concilier avec leur tempérament raisonnable, réaliste, positif et méthodique. Il y a des moments où Corneille gémit :

Et la seule tendresse est toujours à la mode ;


il y en a où Flaubert écrit avec colère : « Les nerfs, le magnétisme, voilà la poésie[1] ! » En ces temps-là la faveur publique se détourne de la poésie raisonneuse ou de l’observation réaliste pour aller à Racine ou à Musset ; en d’autres temps elle était pour Malherbe, autre champion de la raison, contre les « mauvaises imaginations » de Desportes. Car Malherbe contre la Pléiade et les disciples attardés de Ronsard. Corneille contre Quinault et Racine, Flaubert et Maupassant contre Musset, c’est toujours la même cause de la raison contre le sentiment, de la logique contre l’émotion, du cerveau contre le cœur. Les Normands — du moins les meilleurs, ceux qui se sont bien compris, et qui ont trouvé leur voie — ont toujours plaidé la cause de la raison. Comment ne l’auraient-ils pas gagnée dans un pays dont l’esprit est « la raison elle-même[2] », « où la logique, dirait-on, est

  1. Flaubert, Corresp., 2e  s., p. 81.
  2. Cf. notamment Nisard, Hist. de la litt. franç.; Taine, La Fontaine et ses fables et Origines de la France contemporaine, I.