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plus qui parlera, comme Victor Hugo, de « la prière d’un mendiant puissant au ciel » : « quand les pauvres lui disoient qu’ils prieroient Dieu pour lui, il leur répondoit qu’il ne croyoit pas qu’ils eussent grand crédit envers Dieu, vu le mauvais état auquel il les laissoit en ce monde, et qu’il eût mieux aimé que M. de Luynes ou quelque autre favori lui eût fait la même promesse[1]… Il disoit aussi que Dieu n’avoit fait le froid que pour les pauvres et pour les sots[2] ». Quand Malherbe s’adresse au Christ — cela lui est arrivé dans un sonnet composé après la mort de son fils — il n’est pas plus chrétien qu’il n’était biblique dans ses paraphrases. Il parle au Christ comme à un de ces dieux classiques dont la vengeance était le plaisir, et il veut le persuader en bonne logique :

 Puisque, par la raison
Le trouble de mon âme étant sans guérison,
Le vœu de la vengeance est un vœu légitime,

Fais que de ton appui je sois fortifié.
Ta justice t’en prie ; et les auteurs du crime
Sont fils de ces bourreaux qui t’ont crucifié[3].

Si l’on songe maintenant aux vers que Victor Hugo écrivait après la mort de sa fille :

Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire,

on aura une idée de la distance qui sépare du poète romantique et chrétien le poète classique, qu’inspire la raison de l’antiquité et de la renaissance.

  1. Racan, l. c., p. LXXII.
  2. Ibid., p. LXXIV.
  3. Malh., I, 276 ; cf. Souriau, L’évolution du vers français au XVIIe siècle, p. 83.