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Page:Courant - L'enseignement colonial et les cours de chinois à Lyon, 1901.pdf/10

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ENSEIGNEMENT COLONIAL ET COURS DE CHINOIS

tions avec les indigènes, il faut s’accommoder à leurs coutumes et à leurs goûts, ne chercher à innover qu’avec une extrême prudence, quand on est dix fois sûr du terrain acquis, quand on peut faire toucher du doigt la supériorité des procédés d’outre-mer. Il ne suffit donc pas de vivre, fût-ce pendant vingt ans, au milieu des Chinois : il faut les comprendre, connaître leurs mœurs pour pénétrer leurs goûts, savoir quels sont leurs besoins et leurs ressources, profiter de l’heure où ils sont disposés à acheter et en mesure de le faire, deviner la forme sous laquelle ils accepteront telle entreprise industrielle et voudront la seconder, gagner par quelques marques de déférence, par quelques présents, l’appui de ceux qui dirigent l’esprit du peuple lettrés ou astrologues. Peut être la sédition chinoise qui a déjà fait trop de victimes et causé trop d’inquiétudes, est-elle due pour une certaine part à l’oubli de quelques-uns de ces principes. On a trop affiché le mépris des Chinois, on a voulu brusquer leur transformation ; ils protestent et ils regimbent. L’Europe, par ses compétitions et par son esprit mercantile, s’est montrée désunie et inférieure à la civilisation qu’elle prêche : les Chinois qui pensent, ne voient en nous que des adorateurs de l’or, gens sans foi ni loi, dépourvus de tout principe élevé, tandis que leurs politiques ont pu espérer venir à bout de nous par nos divisions. Si le nombre des hommes qui connaissent la Chine avait été plus grand, peut-être ces écueils auraient-ils été évités, quelques-uns du moins ; peut-être les troubles, prévus par les missionnaires seuls, n’auraient-ils pas trop longtemps échappé à la vue des autres et peut-être y aurait-on obvié d’avance. C’est donc à répandre la connaissance des Chinois que doivent tendre les efforts.

Pour connaître un peuple étranger avec qui l’on doit entretenir des rapports suivis, il ne suffit pas d’être au fait théoriquement de sa vie quotidienne, des idées qui forment la trame de son esprit, il faut savoir sa langue, puisque c’est la langue qui nous permet de pénétrer ces formes de pensée différentes des nôtres, qui fait saisir sur le vif les mille détails de ces manières de sentir ; puisque, en un mot, c’est la langue qui nous met directement en contact avec lui. Mais, dira t-on, il existe de nombreux Chinois qui parlent soit le français, soit le russe, ou surtout l’anglais ; outre les interprètes, il y a les compradors, ces personnages mi-interprètes, mi-négociants qui servent partout d’intermédiaires entre les maisons européennes et les maisons chinoises. Il faut remarquer d’abord qu’assez nombreux dans les grands ports, les interprètes, les compradors, d’une façon plus générale, les Chinois qui parlent une langue européenne, sont rares dans les places ouvertes d’importance inférieure et n’existent pas dans l’intérieur, où il faut les faire venir de la côte ; attendre, pour multiplier en Chine nos entreprises commerciales et autres, que l’on puisse avoir partout des Chinois parlant le français, l’anglais ou le pidgin english, n’est-ce pas renoncer provisoirement aux marchés nouveaux qui nous sont ouverts, nous déclarer contents de notre situation présente, ne pas chercher à étendre nos débouchés, laisser la place libre à nos concurrents ? De plus ces intermédiaires, toujours coûteux, se trouvent dans une position bien glissante entre deux chefs de maison, l’un Chinois, l’autre étranger, qui sont incapables de se comprendre ; il est facile au comprador de faire ses affaires personnelles aux dépens de l’un et de l’autre, de favoriser l’une des parties, et d’habitude le Chinois sait se concilier son appui mieux que l’étranger