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la revue de paris

de vivre correctement : du moins, les moralistes comptent-ils principalement, pour maintenir les mœurs populaires, sur l’influence de la famille et des voisins. En fait, l’immoralité n’est sans doute pas une caractéristique des acteurs, elle se rencontre dans d’autres classes de la société chinoise ; mais les acteurs se font toujours remarquer par leur désordre, leur prodigalité, et, s’ils en ont le moyen, par leur luxe : or, ce sont des travers que ne pardonne pas le confucianisme. Libres ou esclaves, les gens de théâtre sont tenus en profond mépris, par la loi comme par la société ; le fait seul de paraître en scène est considéré comme dégradant : on cite l’exemple d’un lettré qui, ayant rempli un rôle dans une représentation privée, à Koei-yang, fut d’abord dépouillé de son titre officiel, puis chassé de sa famille et de son clan, châtiment qui équivaut à l’exil de la société antique. Dans cette civilisation si démocratique où les concours et les fonctions sont accessibles à tous, les acteurs en sont exclus : leur métier est l’un des quatre qui impriment une tare ineffaçable à celui qui l’exerce, à son fils et à son petit-fils ; ce n’est que la quatrième génération qui rentre dans le droit commun. La société elle-même est donc responsable en partie de l’infériorité morale des acteurs : pourquoi ces malheureux, esclaves au moins dans leur jeunesse, incapables d’assurer à leurs enfants une situation honorable, privés pour ainsi dire d’ascendants et de descendants, isolés au milieu d’une société qui n’admet que les groupements et les corporations, pourquoi épargneraient-ils, et conformeraient-ils leur vie à un idéal moral au nom duquel on les repousse ?

À Péking, les planches sont interdites aux femmes une cause de désordres est ainsi écartée du théâtre et satisfaction est donnée au principe de la séparation des sexes. Dans les troupes de province, on tolère quelques actrices appartenant, à un titre quelconque, au maître de troupe. En différents lieux, à Canton surtout, il existe des théâtres où ne paraissent que des femmes : ils sont tenus pour immoraux, et non sans raison ; il y a quelques années, un censeur a fait supprimer à Moukden un établissement de ce genre. Le Palais possède une troupe unique en Chine : elle est composée de deux ou trois cents eunuques dirigés par l’un d’entre eux. Ils vivent hors