Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/125

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par la théorie, déjà vérifiée pour d’autres cas, et dont on attendait la confirmation : tout le monde s’accordera à regarder comme excessivement peu probable, ou même comme impossible, qu’une erreur fortuite de calcul donne précisément ce qu’il faut pour faire cadrer le résultat avec la loi théorique. On ne doutera point de la justesse du résultat obtenu, et l’on ne s’enquerra point si les deux calculateurs sont sujets à se tromper une fois sur vingt, ou une fois sur cent. Nous avons pris pour exemple un calcul numérique, c’est-à-dire en quelque sorte la plus mécanique des opérations intellectuelles ; mais il est clair qu’une pareille discussion peut porter sur tous les actes de l’esprit qui tendent à nous faire connaître quelque chose : bien que l’évaluation des chances d’erreur, tant a priori qu’a posteriori, paraisse devoir offrir des difficultés d’autant moins surmontables qu’il s’agit d’opérations plus compliquées, ou pour lesquelles sont mis en jeu des ressorts plus cachés de notre organisation intellectuelle. Il est arrivé aux plus grands géomètres de tomber dans des méprises, et des propositions admises comme vraies, même en mathématiques pures, ont été plus tard abandonnées comme fausses ou inexactes. Cependant il serait fort extraordinaire, et par cela seul improbable, que tant de géomètres, depuis plus de vingt siècles, se fussent trompés en trouvant irréprochable la démonstration du théorème de Pythagore, telle qu’on la lit dans Euclide. Mais, si l’on considère que ce théorème se démontre de diverses manières, qu’il se coordonne avec tout un système de propositions parfaitement liées, on aura la plus entière conviction, non-seulement que la démonstration est conforme aux lois régulatrices de la pensée humaine, mais encore que ce théorème appartient à un ordre de vérités subsistant indépendamment des facultés qui nous les révèlent et des lois auxquelles ces facultés sont soumises dans leur exercice.

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Des remarques analogues peuvent s’appliquer à la crédibilité des témoignages. J’ai un ami à Londres, et il m’instruit qu’un grave événement vient d’arriver dans cette ville, qu’un incendie y a causé des pertes énormes et détruit de fond en comble un quartier de la ville ; il ajoute diverses circonstances à son récit ; et bientôt après, un de mes amis de Paris, qui a aussi un correspondant à Londres, me montre une lettre où les mêmes faits sont rapportés avec les mêmes circonstances.