Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/155

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A et B ont servi à élever la température de deux litres d’eau, l’un de 10 degrés à 50 degrés, l’autre de 10 degrés à 90 degrés, nous ne sommes pas autorisés pour cela à affirmer que B est double de A ; car il pourrait bien se faire qu’une masse liquide déjà échauffée de 40 degrés, et par suite déjà modifiée dans sa constitution moléculaire, exigeât plus ou moins de chaleur pour s’échauffer encore de 40 degrés. La conséquence deviendrait bien plus probable si les deux quantités A et B avaient servi, l’une à élever de 10 degrés à 50 degrés la température de deux litres d’eau, l’autre à élever de 10 degrés à 50 degrés la température de quatre litres du même liquide ; ou bien encore si la quantité A avait servi à fondre un kilogramme de glace, et la quantité B à fondre deux kilogrammes : car on concevrait difficilement que la simple juxtaposition de deux masses de glace ou de deux masses d’eau liquide influât sur la quantité de chaleur nécessaire pour fondre chacune des masses solides, ou pour porter chacune des masses liquides, de la température de 10 degrés à celle de 50 degrés. Mais, ce que chaque expérience prise à part indique au moins avec une grande vraisemblance, le concours des deux expériences qui se renforcent l’une l’autre ne permet plus d’en douter raisonnablement : car, vu la disparité des effets produits, on ne concevrait pas qu’ils fussent ainsi en proportion exacte, si les quantités de chaleur qui les produisent n’étaient aussi dans la même proportion. En multipliant les expériences et les concordances de cette nature, on mettra la conséquence que nous venons de tirer hors de toute contestation. C’est ainsi que, par le concours des sens qui observent et de la raison qui interprète, on peut franchir sans présomption les limites de l’observation sensible, et arriver, sans cercle vicieux, au terme fixe de comparaison, à ce quid inconcussum dont on a besoin pour asseoir l’édifice de la théorie.

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Reprenons maintenant la suite de la discussion que nous avions entamée, et, après avoir montré que l’abolition d’une faculté tenant à la sensibilité générale, comme celle de percevoir les impressions du froid et du chaud, n’apporterait ni retranchement ni modification dans le système de nos idées, examinons quelle est sur ce système l’influence propre à chacun des organes spéciaux des sens, en commençant par