Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/176

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la rétine (105). Elles pourront aussi donner lieu à des illusions comparables à celles qui affectent le sens de la vue, et dont on peut prendre une idée par cet exemple si connu, de la bille que l’on sent double, quand on la fait rouler entre deux doigts qui s’entrecroisent. Maintenant, sans plus nous arrêter à ces suppositions arbitraires, rendons la sensibilité tactile à tous les organes par lesquels l’animal agit sur les corps extérieurs et sur le sien propre ; donnons-lui le sentiment intime de l’effort musculaire qui détermine les mouvements des organes ; permettons aux organes de céder aux sollicitations de l’instinct et à l’impulsion de la volonté, en venant s’appliquer dans leurs articulations, se mouler partiellement sur des corps résistants, par des contacts simultanés ou par des contacts successifs auxquels la faculté de réminiscence prête une quasi-simultanéité : et la représentation de l’espace sortira dans toute sa netteté de cette série de sensations complexes, par une raison de pure forme, quelle que soit d’ailleurs la nature sui generis des sensations tactiles de chaud ou de froid, de poli ou de rude, et lors même que ces sensations seraient remplacées par d’autres dont nous n’avons nulle idée, lors même que la conscience du mouvement produit résulterait d’une sensation autre que celle qui accompagne en nous la contraction et les efforts de la fibre musculaire. À la vérité, la résistance que les corps opposent au déploiement de la force musculaire ajoute à la représentation de l’espace et à la notion de l’extériorité, en suggérant à notre intelligence les idées de solidité, de matérialité, de masse, d’inertie, etc., qui nous servent à imaginer et à expliquer les divers phénomènes du monde physique. Voilà ce que ne pourraient nous donner les sensations visuelles, non plus que celles qui nous arrivent par le goût, l’odorat ou l’ouïe ; mais toutes les sensations tactiles de chaud et de froid, de poli et de rude, etc., ne nous les donneraient pas davantage, si elles n’étaient accompagnées ou suivies du déploiement de la force musculaire, sous l’action de cette branche du système nerveux qui préside aux mouvements volontaires ; branche que l’on sait maintenant (par les découvertes de la physiologie moderne) être nettement distincte de la branche destinée à recueillir et à transmettre les diverses impressions sensorielles, aussi bien les sensations tactiles de chaud, de froid, de poli,