Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/177

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de rude, que les sensations de couleurs, de sons, d’odeurs, de saveurs. Cette grande découverte physiologique vient merveilleusement en aide à l’analyse philosophique des sensations, en nous forçant de distinguer, dans le fait complexe que les psychologues ont désigné sous le nom de toucher actif, ce qui est vraiment une sensation, d’avec ce qui tient à l’exercice d’une fonction active, dévolue à un appareil organique parfaitement distinct de l’appareil des nerfs sensoriels, quoique en connexion nécessaire avec celui-ci. Or, pour le moment, nous ne nous occupons que des impressions sensorielles et des notions ou représentations qu’elles sont, par elles-mêmes, capables de donner. Nous examinerons plus loin la valeur représentative des notions physiques qui sont, pour notre intelligence, le produit moins immédiat de la conscience que nous avons des fonctions du système nerveux moteur, et du déploiement de notre force musculaire.

108.

Ainsi, en résumé, des cinq sens dont la nature a doué l’homme et les animaux supérieurs, et qui tous ont assurément une grande, quoique inégale importance dans l’ordre des fonctions de la vie animale, il n’y en a réellement que deux qui soient pour l’homme des instruments essentiels de connaissance ; et en tant qu’instruments de connaissance, ces deux sens s’identifient en quelque sorte ; ils sont homogènes ou ils procurent des représentations et des connaissances homogènes, savoir, la représentation de l’espace et la connaissance des rapports de grandeur et de configuration géométrique ; la vertu représentative étant, pour chacun de ces deux sens, attachée à la forme et indépendante du fond de la sensation, ratione formae et non ratione materiae. Les autres sens, ou les fonctions de ces deux sens à l’égard desquels ils doivent être réputés hétérogènes, ne contribuent à l’accroissement de la connaissance que d’une manière indirecte et accessoire, en fournissant des réactifs, c’est-à-dire des moyens de reconnaître la présence d’agents sur la nature et la constitution desquels nous ne savons que ce que des sensations douées de vertu représentative nous ont fait connaître. Le sens fondamental de la connaissance, le toucher actif, n’est pas attaché à un appareil spécial dont la nature se soit plu à doter certaines espèces privilégiées, dont les individus puissent être accidentellement privés, sans cesser