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Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/182

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en émoussant graduellement certaines impressions sensibles, par le seul effet de l’habitude, se charge de préparer cette analyse que doit ensuite compléter un jugement de la raison qu’on a exprimé dans cet adage aussi vrai qu’énergique : summum principium remotissimum a sensibus.

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À la nécessité de donner un corps à l’idée, par l’emploi d’images sensibles, tient la nécessité des signes d’institution, qui jouent un si grand rôle dans le développement de l’esprit humain, et sur la nature desquels nous aurons lieu de faire par la suite des observations importantes. Dès à présent nous pouvons remarquer que l’impression sensible des sons de la voix articulée ou des caractères de la parole écrite s’émousse d’autant plus par l’habitude, et par conséquent dérobe à l’idée une part d’autant moindre de l’attention, que la langue parlée ou écrite nous devient plus familière, sans que jamais l’idée puisse se passer tout à fait du support de l’impression sensible, même lorsque nous ne nous servons du langage que pour converser avec nous-mêmes et pour le besoin de nos méditations solitaires. On entend ordinairement par imagination une faculté éminemment active et créatrice, une aptitude à saisir avec vivacité et à exprimer avec énergie, par des images empruntées à la nature sensible, les émotions de l’âme et les inspirations du cœur. Mais, au-dessous de cette faculté poétique, il y en a une autre moins brillante, et qui consiste aussi à pouvoir associer des images sensibles, pour le besoin de la pensée, aux idées souvent les plus arides et les moins faites pour exciter l’enthousiasme et émouvoir les passions du cœur humain. Les hommes possèdent cette faculté à des degrés très-inégaux, selon qu’elle est perfectionnée par l’exercice ou émoussée par l’inaction, et, bien probablement aussi, en conséquence de quelques variétés individuelles d’organisation. Tel se représente facilement et distinctement un polygone régulier de six, de sept, de huit côtés ; tel autre ira plus loin ; mais personne ne peut se faire l’image d’un polygone de mille côtés, et il faut, pour y penser, l’emploi des signes artificiels ; et cependant les propriétés de ce polygone sont aussi bien connues du géomètre, l’idée qu’il s’en fait est aussi claire que celles de l’hexagone et du carré. Nous nous représentons le mouvement d’un corps, pourvu que ce mouvement ne soit ni trop lent, ni trop