Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/186

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est nécessairement une propriété inexplicable, et dont nous ne pouvons démontrer la liaison avec d’autres propriétés connues, lors même que l’expérience nous aurait appris qu’elle est constamment associée à d’autres propriétés. Ainsi, de ce qu’un corps nous a fait éprouver la sensation de saveur acide, nous pouvons bien conclure, en vertu d’expériences antérieures (99), qu’il doit avoir aussi la propriété de s’unir chimiquement aux bases salifiables et celle de se transporter au pôle positif de la pile, quand on décompose par un courant voltaïque le produit de cette union ; mais nous n’en restons pas moins dans une ignorance invincible sur la question de savoir pourquoi les composés chimiques, bien caractérisés par cette double propriété, agissent sur l’organe du goût de manière à nous procurer la sensation de saveur acide, plutôt qu’une sensation de saveur amère, âcre ou astringente. Les mêmes composés chimiques ont aussi la propriété de rougir le papier de tournesol ; et quoiqu’on ne puisse pas l’expliquer actuellement, il n’est pas impossible qu’on explique un jour pourquoi le papier de tournesol, attaqué par les acides, renvoie les rayons de lumière les moins réfrangibles, de préférence à ceux qui occupent une autre place dans l’étendue du spectre solaire ; mais ce qu’on n’expliquera jamais, c’est pourquoi les rayons les moins réfrangibles nous font éprouver la sensation de rouge plutôt que celle du bleu ou du jaune ; c’est en un mot la liaison entre l’indice de réfraction du rayon et la nature de la sensation qu’il détermine. Non-seulement nous ne connaissons pas actuellement la cause d’une pareille liaison, mais la nature des choses s’oppose à ce que nous puissions la connaître, et il est permis d’affirmer que nous ne la connaîtrons jamais. En ce sens donc, et relativement à nous, les propriétés des corps en vue desquelles on a imaginé la dénomination de qualités secondes, sont justement celles qui méritent le mieux d’être qualifiées de faits primitifs ou irréductibles. D’un autre côté, si, à défaut d’explications et de preuves, on tient compte des analogies et des inductions, il y a lieu de croire que les diverses qualités spécifiques par lesquelles les corps ou certains corps agissent sur notre organisme, loin d’être dans ces corps autant de qualités fondamentales dont toutes les autres dériveraient, ne se rattachent même pas le plus souvent d’une manière immédiate aux qualités vraiment