Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/199

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dit en conséquence que l’inertie de la matière consiste dans l’indifférence au repos et au mouvement ; de sorte que ce qu’on nomme la mobilité des corps ne doit pas être regardé comme une qualité spéciale, mais seulement comme une conséquence du principe de l’inertie de la matière.

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L’idée de force provient ordinairement du sentiment intime que nous avons de notre puissance comme agents mécaniques, et de l’effort ou de la tension musculaire qui est la condition organique de l’exercice de cette puissance. Nous étendons cette idée, en supposant que quelque chose d’analogue réside dans tous les agents capables de produire les mêmes effets mécaniques, et nous disons : la force de la vapeur, la force d’un cours d’eau, la force du vent. Par un procédé d’abstraction familier aux géomètres, ils mettent de côté toutes les qualités physiques qui distinguent si profondément ces agents divers ; ils ne tiennent compte que de la direction suivant laquelle ces forces tendent à mouvoir les corps qu’elles sollicitent, et de la vitesse qu’elles tendent à leur imprimer ; pour eux deux forces sont égales lorsqu’elles tendent à imprimer à une masse déterminée des vitesses égales, quelles que soient d’ailleurs la nature de l’agent et les conditions physiques de l’action qu’il exerce. On n’a pas besoin de scruter davantage l’origine et le fondement de l’idée de force, pour constater par l’expérience ou pour établir par le raisonnement les principes généraux de la mécanique, et pour en suivre par le calcul les conséquences éloignées. Mais la philosophie naturelle ne s’arrête pas là : en effet, il est bien évident que le ressort d’un gaz ou d’une vapeur, et à plus forte raison la tension d’un muscle sont des phénomènes dérivés et complexes, qui ont besoin d’être expliqués par des faits plus simples, bien loin de pouvoir fournir le type primordial qui servirait à l’explication des autres phénomènes. Il en est des forces comme des corps ; pour les unes comme pour les autres, ce qui affecte immédiatement notre sensibilité, ce qui est l’objet immédiat de nos perceptions, n’est point la chose fondamentale et primitive, mais un produit compliqué qu’il faut tâcher de soumettre à l’analyse pour en saisir, s’il se peut, les principes et le fondement.

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L’école cartésienne avait voulu proscrire l’idée