Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/224

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

portion artificielle de nos théories où l’imagination, dépassant les limites de l’expérience, crée des fictions que la raison accepte provisoirement, mais seulement à titre d’échafaudages artificiels et de signes auxiliaires (116). Si les procédés rigoureux d’expérimentation, dus au génie des modernes, avaient contredit l’application de la notion de substance, même aux corps pondérables ; s’il avait été bien constaté que, dans certaines circonstances, il y a des destructions de masse et de poids, comme il y a des destructions de force vive, on aurait défini les circonstances de cette destruction : et les corps pondérables n’auraient pas cessé pour cela de nous présenter le spectacle de phénomènes bien ordonnés, phænomena bene ordinata, selon l’expression de Leibnitz. Seulement on aurait eu un argument de plus et un argument péremptoire pour condamner l’hypothèse de ces atomes figurés et étendus, que déjà notre raison a tant de motifs de rejeter, et dont pourtant notre imagination ne peut pas se départir.

136

La difficulté que, dans cette supposition, nous éprouverions à concevoir les forces physiques, sans adhérence à un substratum matériel, c’est-à-dire en définitive, sans adhérence à un corpuscule ou à un système de corpuscules figurés et étendus, est précisément celle que nous éprouvons à concevoir les forces vitales et plastiques ; puisque, dans le passage des phénomènes du monde inorganique à ceux de la nature vivante, la matière et la forme semblent changer de rôle : la persistance (dans une certaine mesure) de la forme ou du type tenant lieu de la persistance de la masse et du poids ; et la variabilité ou même (dans une certaine mesure aussi) l’indifférence des matériaux succédant à la variabilité ou à l’indifférence des formes. C’est pour échapper à cette difficulté, qu’on a imaginé, aux diverses époques de la science, des hypothèses aujourd’hui jugées et définitivement condamnées, telles que celles de la génération spontanée, de l’emboîtement des germes, etc., au sujet desquelles nous n’avons pas à entrer dans des explications de détail, qui sont du ressort de l’anatomiste et du physiologiste, plutôt que du logicien et du métaphysicien. Il faut confesser cette difficulté, et même reconnaître qu’elle est insurmontable, puisqu’elle tient à une contradiction entre certaines lois de la nature et certains penchants de l’esprit humain : mais il ne faut pas non plus l’exagérer. La