Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/230

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ainsi que, pour la perception des idées dont la sensibilité ne nous fournit pas les images immédiates, nous sommes obligés d’y associer des images qui n’ont la vertu représentative qu’indirectement et, pour ainsi dire, de seconde main, à la faveur des analogies que la raison saisit entre des choses d’ailleurs hétérogènes ; ce qui est le fondement de l’institution des signes et le principe de la perfectibilité humaine. Les animaux, même les plus rapprochés de l’homme, ne nous paraissent avoir qu’une perception très-obscure des rapports de temps, de durée, et de tout ce qui s’y rattache. En effet, l’on peut dire que les sens ont été donnés à l’homme et aux animaux pour les conduire dans l’espace ; la raison, au contraire, a surtout pour destination pratique de diriger l’homme dans le temps, de coordonner ses actes en vue des faits accomplis et des circonstances à venir. Cette destinée supérieure et ces facultés plus élevées ayant été refusées aux animaux, la perception nette du temps leur devenait superflue. Mais, par cela même que la faculté de percevoir le temps restait et devait rester à l’état rudimentaire, jusque chez les animaux les plus voisins de l’homme, elle ne pouvait, pour l’homme lui-même, atteindre à la clarté représentative propre à l’intuition de l’espace ; car, en tout ce qui tient au développement des puissances vitales, nous observons que la nature sème la variété sans perdre de vue un plan commun à la série des êtres : développant chez une espèce ce qu’elle n’a mis qu’en germe chez l’autre ou chez toutes les autres, plutôt que de créer de toutes pièces ce qui n’existerait point ailleurs, pas même en germe. Quant à la perception de l’espace, les innombrables espèces animales l’ont évidemment aux degrés les plus divers, selon le rang qu’elles occupent dans l’échelle de l’animalité : et toujours nous remarquons, autant que l’induction nous permet d’en juger, que le degré de cette perception est parfaitement assorti au genre de mouvements que l’animal doit exécuter en conséquence de ses perceptions ; ou plutôt, comme on l’a expliqué (107), c’est l’acte même du mouvement qui donne