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du phénomène, et nous en donne la conception ou la représentation véritable.

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Quand, dans la vue d’étudier plus facilement les conditions d’équilibre et de mouvement des corps solides et fluides, nous imaginons des solides doués d’une rigidité parfaite, des fluides dépourvus de toute viscosité, de toute adhérence entre leurs parties, nous faisons abstraction de quelques-unes des qualités naturelles que ces corps possèdent ; nous construisons en idée, pour simplifier les problèmes que nous nous proposons de résoudre et pour les accommoder à nos procédés de calcul, des corps dont le type ne se trouve pas réalisé dans la nature, et n’est peut-être pas réalisable. À la vérité, et par une heureuse circonstance, les corps solides et les fluides, tels que la nature nous les offre, ne s’éloignent pas tant des conditions fictives de rigidité et de fluidité absolues, qu’on ne puisse considérer les résultats théoriques, obtenus à la faveur de ces conditions fictives, comme représentant déjà avec assez d’approximation les lois de certains phénomènes naturels. C’est en cela que consiste l’utilité de l’hypothèse ou de la conception abstraite, substituée artificiellement aux types naturels des corps solides et des fluides. Lorsqu’on étudie les lois d’après lesquelles les richesses se produisent, se distribuent et se consomment, on voit que ces lois pourraient s’établir théoriquement d’une manière assez simple, si l’on faisait abstraction de certaines circonstances accessoires qui les compliquent, et dont les effets ne sauraient être que vaguement appréciés, par suite de cette complication. En conséquence, on admettra que les richesses ou les valeurs commerçables peuvent circuler sans la moindre gêne, passer immédiatement d’une main à l’autre, se réaliser, se négocier, s’échanger contre d’autres valeurs ou contre des espèces, au gré du propriétaire, au cours du jour et du marché ; on admettra le parfait nivellement des prix sous l’influence de la libre concurrence : suppositions dont aucune n’est vraie en toute rigueur, mais qui approchent d’autant plus d’être vraies, qu’on les applique à des denrées sur lesquelles s’exerce de préférence la spéculation commerciale, à des pays et à des temps où l’organisation commerciale a fait plus de progrès. De pareilles abstractions par lesquelles l’esprit sépare des