Page:Cournot - Essai sur les fondements de nos connaissances.djvu/257

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certains phénomènes morbides, ils aient fait une systématisation artificielle et dangereuse par ses conséquences, si elle les a conduits à perdre de vue l’altération des organes où est le siège du mal, pour attaquer la fièvre à la manière d’un ennemi qu’il faut étreindre et terrasser. Mais, supposons qu’il y ait au contraire une affection morbide, telle que le choléra ou la variole, bien caractérisée dans ses symptômes, dans son allure, dans ses périodes d’invasion, de progrès et de décroissance, soit que l’on en considère l’action sur les individus ou sur les masses : on n’abusera pas plus de l’abstraction en érigeant en entités de telles affections morbides, en faisant la monographie du choléra et de la variole, qu’en faisant la monographie d’un vent ou d’un fleuve. Car, dans l’hypothèse, il y aura pour le choléra une marche et une allure générales, qui ne seront pas modifiées ou qui ne subiront que des modifications d’un ordre secondaire, selon les dispositions des populations ou des individus accidentellement soumis à son invasion : comme la marche et l’allure du mistral ne dépendent pas sensiblement des circonstances accidentelles qui ont amené telle ou telle molécule d’air dans la région où ce vent domine. En général, la critique philosophique des sciences, où des entités paraissent sans cesse sous des noms vulgaires ou techniques, la critique même de la connaissance vulgaire ou élémentaire, telle qu’elle est exprimée par les formes de la langue commune, consisteront à faire, autant que possible, le départ entre les entités artificielles qui ne sont que des signes logiques, et les entités fondées sur la nature et la raison des choses, les véritables êtres de raison, pour employer une expression vulgaire, mais d’un sens vrai et profond, quand on l’entend bien. À mesure que les progrès de l’observation et les développements des théories scientifiques suggéreront à l’esprit la conception d’entités d’un ordre de plus en plus élevé, la comparaison des faits observés et les inductions qui en ressortent devront fournir à la raison les motifs des jugements par lesquels elle prononcera, tantôt que ces entités sont de pures fictions logiques, tantôt qu’elles ont un fondement dans la nature et qu’elles désignent bien les causes purement intelligibles des phénomènes qui tombent sous nos sens.