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Il y a une catégorie d’entités ou d’idées abstraites qui mérite une attention particulière, et dont en effet les logiciens de l’antiquité et du moyen âge se sont particulièrement occupés : c’est la catégorie des universaux (comme disaient les scolastiques), ou celle qui comprend les idées de classes, de genres, d’espèces, hiérarchiquement ordonnées suivant leur degré de généralité ; l’espèce étant subordonnée au genre comme l’individu à l’espèce, et ainsi de suite. Or, la distinction entre l’abstraction artificielle ou logique et l’abstraction naturelle ou rationnelle n’est nulle part plus évidente que dans cette catégorie d’idées abstraites. La classification proprement dite est une opération de l’esprit qui, pour la commodité des recherches ou de la nomenclature, pour le secours de la mémoire, pour les besoins de l’enseignement, ou dans tout autre but relatif à l’homme, groupe artificiellement des objets auxquels il trouve quelque caractère commun, et donne au groupe artificiel ainsi formé une étiquette ou un nom générique. D’après le même procédé, ces groupes artificiels peuvent se distribuer en groupes subalternes, ou se grouper à leur tour pour former des collections et en quelque sorte des unités d’ordre supérieur. Telle est la classification au point de vue de la logique pure ; et l’on peut citer comme exemples de classifications artificielles, celles des bibliographes que chacun modifiera d’après ses convenances en faisant le catalogue de sa propre bibliothèque. Mais, d’un autre côté, la nature nous offre, dans les innombrables espèces d’êtres vivants, et même dans les objets inanimés, des types spécifiques qui assurément n’ont rien d’artificiel ni d’arbitraire, que l’esprit humain n’a pas inventés pour sa commodité, et dont il saisit très-bien l’existence idéale, même lorsqu’il éprouve de l’embarras à les définir ; de même que nous croyons, sur le témoignage des sens, à l’existence d’un objet physique avant de l’avoir vu d’assez près pour en distinguer nettement les contours, et surtout avant d’avoir pu nous rendre compte de sa structure. Ces types spécifiques sont le principal objet de la connaissance scientifique de la nature, par la raison que dans ces espèces ou dans ces groupes naturels, les caractères constants